Thomas Hofnung - Dans le « Rapport sur la France et la mondialisation » que vous avez récemment remis au président de la République (1), vous expliquez que renoncer à la politique arabe de la France reviendrait à faire plaisir au Likoud en Israël et aux néo-conservateurs aux États-Unis. Pourquoi ?
Hubert Védrine - Tout simplement parce que ce sont ces courants qui ont le plus critiqué la « politique arabe de la France ».
L'usage polémique de cette expression remonte au début des années 1970, quand le président Pompidou avait vendu des Mirage aux Libyens. Pour certains Américains et certains Israéliens, « politique arabe » signifie alors « complaisance avec les régimes arabes et affairisme douteux ». Dans ce cas-là, moi aussi, je suis contre. Mais si cette notion désigne une partie de la politique étrangère française qui tente d'apporter des réponses intelligentes à la question de nos relations avec chaque pays du Maghreb et du Proche-Orient, il n'est pas contestable qu'il en faut une. Et dans ce cas-là, je préfère sans l'ombre d'une hésitation la politique arabe de la France - avec ses défauts que l'on peut corriger - à celle de George Bush, la plus mauvaise politique, à mon sens, que les Américains aient conduite dans cette région depuis 1945, ou encore à celle du Likoud. Les critiques contre la France sont surtout utilisées pour la dissuader de prendre des initiatives.
T. H. - Quelle est votre interprétation de la politique arabe de la France ?
H. V. - Elle doit embrasser l'ensemble de nos relations avec tous les pays arabes. Mais elle ne peut pas être globale au sens uniforme. Nous devons avoir une politique distincte à l'égard de chaque pays, car il y a beaucoup de différences d'un pays à l'autre. Ce qui ne doit pas nous empêcher d'essayer d'avoir une approche plus générale, par exemple envers les pays du Maghreb, afin de gérer les questions d'intérêt commun en Méditerranée occidentale. Par ailleurs, nous devons conserver une position propre sur la question du Proche-Orient. J'ai toujours contesté la thèse du Likoud ou de l'Américain Richard Perle et des néo-conservateurs - c'est la même - selon laquelle il n'y avait pas de question palestinienne à résoudre, la gauche israélienne était dans l'erreur, les Européens étaient anti-israéliens. Selon eux, il faut changer les pays arabes de gré ou de force et, après, tout ira mieux. Une telle vision se trouve à l'origine de l'erreur américaine.
Il est au contraire indéniable que la question israélo-palestinienne reste centrale (même si elle n'est pas unique) et qu'elle envenime la relation Islam-Occident. Mais en l'espèce, la France ne dispose pas de leviers magiques. Ce n'est pas elle qui va faire évacuer les territoires palestiniens, ni bâtir un État palestinien responsable ! Elle ne peut pas régler le problème à la place des protagonistes. Mais elle peut jouer un rôle de préparation, d'accompagnement et, un jour, de garantie. Et elle doit aussi avoir une politique claire à l'égard de la péninsule Arabique, …
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