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LA VOIX DU HAMAS

À 62 ans, le docteur Mahmoud Khaled Zabout az-Zahar compte parmi les derniers fondateurs du Hamas encore en vie. Ce chirurgien discret, presque secret, est aujourd'hui le principal dirigeant du Mouvement de la résistance islamique à Gaza et en Cisjordanie. Bien que sa fonction n'ait jamais été rendue publique pour des raisons de sécurité, il a remplacé à la direction du « Hamas de l'intérieur » le docteur Abdel Aziz ar-Rantissi (qui fut éliminé le 17 avril 2004 par l'armée israélienne dans le cadre d'une campagne d'assassinats ciblés visant à décapiter la direction historique du mouvement dans les territoires palestiniens).
Le docteur ar-Rantissi, théoricien très respecté pour son intransigeance par les miliciens de la branche armée, avait succédé, vingt-sept jours plus tôt, au cheikh Ahmed Yassin, chef spirituel et inspirateur du Hamas, victime le 22 mars 2004 d'une frappe de l'armée de l'air israélienne.
Mahmoud az-Zahar est lui-même un miraculé. Le 10 septembre 2003, il survit, au prix de quelques blessures, au bombardement par un F16 israélien de son domicile à Gaza. L'attaque fera deux morts, dont son fils aîné Khaled, et une vingtaine de blessés. Vingt jours plus tôt, le 21 août 2003, le secrétaire particulier du cheikh Yassin, Ismaïl Abou Chanab, figure de proue du courant moderniste de l'aile civile du Hamas, avait été tué.
Mahmoud az-Zahar est né en 1945 à Gaza d'un père palestinien et d'une mère égyptienne. Il a suivi des études de médecine et de chirurgie à l'université Eïn Chams du Caire, ce qui lui vaudra d'être un temps conseiller du ministre palestinien de la Santé. En 1978, il contribue à la création de l'université islamique de Gaza qui jouera un grand rôle dans la propagation de la première Intifada. Il est, avec le cheikh Yassin, l'un des fondateurs historiques du Hamas à la fin de l'année 1987 et son premier porte-parole.
Directement issu de la mouvance des Frères musulmans, le Hamas, acronyme partiel de harakat al-muqâwama al-'islâmiya, Mouvement de la résistance islamique, se propose d'investir l'espace politique et social dans les territoires palestiniens. Il entre en scène dans la lutte contre Israël lors du déclenchement, le 10 décembre 1987, de la première Intifada, la guerre des pierres, qui voit la population de Gaza puis de Cisjordanie se dresser collectivement contre l'occupant. Son action se ralentit avec l'arrestation, en 1989, du cheikh Yassin et de 260 autres militants du mouvement expulsés à Marj al Zohour, sur la frontière libanaise. Ce camp de fortune deviendra le creuset du mouvement qui s'unifie et se radicalise au contact des miliciens chiites du Hezbollah.
Le 16 avril 1993, le Hamas revendique le premier attentat suicide contre un bus à Mehula Junction dans la vallée du Jourdain. Il en commettra plus d'une vingtaine en dix ans. En novembre 1993, il rejette les accords d'Oslo signés par Yasser Arafat, président du Comité exécutif de l'OLP, et Yitzhak Rabin, premier ministre israélien, qui mettent officiellement fin à la première Intifada. Il est également très actif pendant la deuxième Intifada, dite Intifada al-Aqsa, déclenchée le 28 septembre 2000 à l'issue de la visite d'Ariel Sharon, à l'époque simple parlementaire du Likoud, sur l'esplanade des mosquées à Jérusalem. Cette insurrection armée marque l'échec de la stratégie de paix négociée avec Israël, sous parrainage occidental, que défend la direction nationaliste du Fatah. La déception est énorme dans la population palestinienne. Le Hamas, qui a toujours rejeté les accords d'Oslo, va profiter de cette situation pour accroître son influence politique.
À partir de 2004, le Hamas commence à s'impliquer dans le jeu institutionnel. Il entend toucher les dividendes de son action sociale et de son implantation sur le terrain. Il remporte un premier succès aux élections municipales de 2005 avant de gagner, face au Fatah, les législatives de janvier 2006. Sa victoire suscite une forte réaction de la communauté internationale : le mouvement fait partie de la liste des organisations terroristes du Conseil de l'Union européenne, du Canada, du Japon, des États-Unis et d'Israël. La France, elle, avait voté contre son inscription sur la liste de l'Union européenne. En 2005, adhérant aux positions du Quartette, elle conditionne officiellement toute discussion avec le Hamas à l'arrêt des violences et à la reconnaissance d'Israël.
En mars 2006, à l'issue des élections législatives, Mahmoud Abbas demande au Hamas de former le nouveau gouvernement de l'Autorité palestinienne. Mahmoud az-Zahar est alors nommé ministre des Affaires étrangères. Il sera obligé de se démettre, en mars 2007, sous la pression du président de l'Autorité palestinienne, qui ne voulait voir figurer que les éléments les plus modernistes du Hamas dans un nouveau gouvernement d'union nationale.
Or Mahmoud az-Zahar représente la tendance conservatrice du mouvement. Il serait proche de Khaled Mechaal, membre du bureau politique représentant la direction du Hamas en exil à Damas, et d'Ahmed al-Jabari, chef des Brigades Izz al-Din al-Qassam, la branche armée qui revendique par son action de « résistance » - embuscades, attentats suicides, tirs de roquettes depuis la bande de Gaza - la paternité du retrait de l'armée israélienne de Gaza en juin 2005. Les trois hommes sont toutefois d'accord pour proposer à Israël une « trêve de très longue durée » en échange d'un repli de l'armée israélienne sur les frontières de 1967 et du retour des réfugiés de 1948. Dans une lettre adressée le 4 avril 2006 au secrétaire général des Nations unies, Mahmoud az-Zahar suggère même la possibilité d'une solution à deux États qui serait négociée avec le Quartette, mais il refuse toute reconnaissance d'Israël en préalable à l'ouverture de négociations.
Si les décisions stratégiques ont toujours été prises de manière collective au sein du conseil consultatif du Hamas, elles ne doivent cependant pas masquer les divergences internes. En fait, deux courants s'affrontent : celui de Mahmoud az-Zahar, réticent à une évolution en profondeur des pratiques et du programme traditionnel du mouvement ; et celui d'Ismaïl Haniyeh, premier ministre d'un gouvernement du Hamas aujourd'hui très isolé, qui incarne le choix d'une ouverture nettement assumée en direction des nationalistes du Fatah et de la communauté internationale. Si Haniyeh est le plus populaire auprès de la population et des électeurs palestiniens, az-Zahar représente la vraie légitimité historique de l'appareil politique du Hamas.
Tous se retrouvent cependant sur les décisions cruciales pour la survie et l'avenir du mouvement. En juin dernier, accusant l'Autorité palestinienne de vouloir faire disparaître par la force le Hamas de la scène politique, ils prennent la décision d'éliminer, à Gaza, les services de sécurité fidèles à Mohamed Dahlan, représentant de la tendance éradicatrice du Fatah. Trois jours de règlements de comptes, particulièrement violents, sont à l'origine de la profonde division qui marque aujourd'hui le mouvement palestinien.
Cette tentative avortée de l'Autorité palestinienne visant à anéantir le Hamas, associée à l'isolement politique et économique du mouvement islamiste et de Gaza par la communauté internationale, a renforcé les positions de Mahmoud az-Zahar. Celui-ci apparaît désormais, aux côtés de Khaled Mechaal et d'Ahmed al-Jabari, comme l'un des principaux animateurs du Mouvement de la résistance islamique.
B. L. et D. F.

Bertrand de Lesquen et Didier François - Comment expliquez-vous cette rupture violente entre le Fatah et le Hamas ?

Mahmoud az-Zahar - Il faut remonter à plusieurs années en arrière pour en comprendre la raison. En 1994, l'Autorité palestinienne décide de s'installer ici, à Gaza, sans demander son avis au peuple palestinien. Elle poursuit dans cette voie avec la signature, sans plus de consultation populaire, des accords d'Oslo (1). Ni le Djihad islamique ni le Hamas ne sont consultés au prétexte qu'ils ne font pas partie de l'OLP (2). Au mépris de tous les principes démocratiques. À peine installée, l'Autorité palestinienne a entrepris de nous réduire politiquement. Elle a confisqué nos armes, placé nos responsables en résidence surveillée, jeté nos militants en prison, dévoilant ainsi sa stratégie de collaboration avec Israël. Elle a formé des ministères entièrement composés de membres du Fatah. Les principales victimes de cette offensive furent le Djihad islamique, le Hamas et les courants acquis à la résistance au sein du Fatah. Nous savons également aujourd'hui, grâce aux documents que nous avons pu découvrir, que l'un des objectifs de ce clan était le détournement à son seul profit des milliards de dollars de la cause palestinienne.

B. L. et D. F. - Comment avez-vous réagi ?

M. Z. - Nous nous sommes d'abord battus pour exiger des élections et des réformes. Sans succès. En mars 2005, nous avions obtenu, dans le cadre des accords du Caire (3), la promesse d'une réforme de l'OLP. Elle n'a jamais eu lieu. En mai 2005, nous avons gagné les élections municipales à Gaza et en Cisjordanie. Ils ont fait invalider les résultats par des tribunaux corrompus. En janvier 2006, nous remportons démocratiquement les élections législatives avec 65 % des suffrages mais, là encore, ils refusent le résultat des urnes et rejettent l'idée d'un gouvernement d'unité nationale. Nous avons passé cinq semaines à négocier sans poser une seule condition. Ils ont par la suite encouragé les Américains et les Européens à boycotter le gouvernement légitimement élu du Hamas. Ils ont fait en sorte que les Israéliens instaurent un embargo sur les droits et les taxes pour en saper l'assise financière. Ils ont mis en oeuvre la politique du « désordre discipliné » promue par Condoleezza Rice.

B. L. et D. F. - Qu'entendez-vous par là ?

M. Z. - Ils ont adopté le principe de la désobéissance civile. Ils ont commencé par appeler à des grèves limitées dans les secteurs de la santé, de l'enseignement et de la sécurité. La majorité des 80 000 employés des services de sécurité n'assuraient plus la protection de la population, des étrangers, des journalistes et des bâtiments administratifs. Ils ont continué leur action avec le coup du Document des prisonniers (4). Nous avons accepté de travailler, à partir de ce document, à un texte d'entente qu'ils ont agréé mais qu'ils n'ont pas appliqué sur le terrain. Ils ont ensuite évoqué l'idée d'organiser un référendum sur la tenue de législatives anticipées, alors même que des élections démocratiques …