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LE PROCES DU SYSTEME POUTINE

Andreï Illarionov est une figure atypique. Principal conseiller économique de Vladimir Poutine, dont il a également été le sherpa pour le G8 (2000-2005), cet universitaire - qui avait déjà travaillé en 1993-1994 auprès du gouvernement de Viktor Tchernomyrdine - est connu pour ses convictions ultra-libérales. Il a notamment joué un rôle important dans l'introduction de la flat tax (impôt unique sur le revenu) de 13 % en Russie et initié le remboursement anticipé de la dette extérieure et la création du Fonds de stabilisation de la Fédération de Russie basé sur les revenus pétroliers et gaziers du pays. Il a, également, beaucoup oeuvré pour l'admission complète de la Russie au G8.De plus en plus critique vis-à-vis de son patron, il a démissionné en janvier 2005 de son poste de sherpa et, en décembre 2005, de son poste de conseiller économique du président. Depuis, M. Illarionov (qui officie désormais au prestigieux Cato Institute de Washington) est devenu un critique impitoyable du « système Poutine », n'hésitant pas à affirmer que la Russie n'est plus un pays libre ni un pays démocratique, et qu'elle est gouvernée par une élite autoritaire issue en grande partie des services secrets. Il s'est, en particulier, montré très critique à l'égard de la politique énergétique russe de ces dernières années - une politique fondée sur le contrôle étatique des hydrocarbures et le chantage international.
Membre éminent du premier cercle du pouvoir russe pendant presque six ans, Andreï Illarionov dresse un portrait sombre de la Russie poutinienne. Au moment où l'on apprend que le président russe n'a pas l'intention de se dessaisir de la réalité du pouvoir à l'issue de son second mandat, qui s'achève en mars 2008 - comme en témoigne sa décision de conduire le parti présidentiel Russie unie aux législatives du 2 décembre 2007 -, l'analyse implacable que son ancien bras droit fait de sa politique est un rappel aussi utile qu'inquiétant...
G. A.

Galia Ackerman - Vladimir Poutine, dont le second mandat présidentiel expire en mars 2008, a annoncé qu'il allait conduire le parti Russie unie aux élections législatives de décembre 2007. Que faut-il penser de cette décision ? Poutine restera-t-il au pouvoir en devenant, cette fois, un premier ministre tout-puissant ?

Andreï Illarionov - Pas nécessairement, même si c'est l'impression qui domine en ce moment. En revanche, ce qui semble certain, c'est que les législatives de décembre vont tourner au plébiscite puisque, désormais, la question qui est posée au peuple est : « Êtes-vous pour ou contre Vladimir Poutine ? » Russie unie va sans doute obtenir un triomphe populaire, ce qui offrira à Poutine, sous une forme ou une autre, l'impunité légale aussi bien en Russie qu'à l'étranger.

G. A. - Connaissez-vous personnellement Viktor Zoubkov, le nouveau premier ministre, dont bon nombre d'observateurs disent qu'il pourrait bien devenir le prochain président de la Russie, avec l'onction de Vladimir Poutine ?

A. I. - Je le connais, oui. Tout ce que je peux vous dire, c'est que c'est un homme absolument loyal à M. Poutine.

G. A. - À l'occasion du remaniement gouvernemental qui a porté M. Zoubkov à la tête du gouvernement, le ministre de l'Économie, Guerman Gref, l'un des derniers libéraux au sein de l'équipe au pouvoir, a perdu son poste. Qu'est-ce que cela va changer pour l'économie de la Russie ?

A. I. - Il n'y a pas lieu de s'étonner de son départ puisqu'il voulait depuis longtemps aller gagner de l'argent dans les affaires. Je ne serais pas étonné s'il accédait bientôt à la tête d'une compagnie, d'une banque ou d'une corporation appartenant à l'État. Mme Elvira Nabiullina, qui lui a succédé, est une femme compétente. Elle représente une vraie chance d'amélioration pour l'économie russe.

G. A. - Dans vos écrits, vous avez alternativement qualifié le régime russe actuel de « cas unique d'État-corporation » et de « modèle étatique fondé sur la force ». Laquelle de ces définitions est la plus appropriée ?

A. I. - Ces deux notions ne sont pas contradictoires, bien au contraire : elles se complètent parfaitement. L'État russe est une corporation fondée sur la force. Tout simplement parce que c'est la corporation des siloviki (les hommes issus des structures de force (1)) qui a pris les commandes du pays. Il s'agit d'un groupe étendu dont les membres sont soudés par des liens très forts - très forts mais pas nécessairement visibles du grand public, loin de là.

G. A. - Quel rôle la guerre de Tchétchénie a-t-elle joué dans la mise en place de ce système ?

A. I. - Les deux guerres de Tchétchénie, toutes deux déclenchées par les services secrets russes, ont été absolument décisives pour l'établissement d'un régime autoritaire en Russie. C'est particulièrement vrai pour la seconde guerre : elle a permis de roder à Grozny des méthodes d'administration autoritaire qui ont été, plus tard, appliquées à l'échelle du pays entier. C'est justement dans ce but que les régimes …