Les Grands de ce monde s'expriment dans

PORTUGAL: LE TEMPS DES GRANDS HORIZONS

Jean-Jacques Lafaye - Vous portez un nom exceptionnel, celui du père des philosophes...

José Socrates - C'est peut-être ce qui explique mon goût pour la philosophie ! Plus sérieusement : j'aime l'idée qu'une fois le temps de l'action politique révolu, je pourrai retourner à la conversation des grands auteurs classiques et à l'approfondissement des dialogues de l'esprit. Une carrière politique s'achève toujours sur un échec, et nous n'en connaissons jamais le terme à l'avance.

J.-J. L. - Votre parcours personnel est mal connu. On dit qu'avant de rejoindre le Parti socialiste portugais, vous étiez sympathisant du Parti social-démocrate de vos opposants actuels...

J. S. - Cette histoire est un mythe. J'ai toujours été un social-démocrate. Après la révolution de 1974, mes premières lectures politiques étaient réservées à Bernstein, l'auteur du Socialisme démocratique, qui m'a largement inspiré. Je me souviens d'une de ses formules : « La démocratie, c'est le règne du compromis. » Toute ma vie, j'ai été un adepte du compromis. Il est exact que j'ai adhéré au PSD pendant un an, lorsque j'avais seize ans, pour la simple raison qu'il se présentait comme « social-démocrate ». Mais j'ai vite compris qu'il s'agissait en réalité d'un parti de centre droit. Pendant mes études universitaires, je n'ai pas eu d'engagement partisan, et ce n'est que dans les années 1980 que j'ai décidé de m'inscrire au Parti socialiste.

J.-J. L. - Dans votre politique de réforme, vous êtes soutenu à la fois par le président Cavaco Silva, issu des rangs du PSD (centre droit), et par son ancien opposant, Mario Soares (centre gauche). Auriez-vous trouvé le chemin de l'union nationale ?

J. S. - Le président Cavaco Silva a fait campagne sur le thème d'une coopération stratégique avec le gouvernement. Je pense qu'il est très conscient des difficultés que traverse notre pays et de la nécessité de mettre en oeuvre des réformes. Cette coopération va au-delà de nos deux personnes ; il s'agit d'une véritable tradition de notre système politique, très différente de la « cohabitation » à la française (1). Je dois dire que son attitude a créé un climat de confiance salutaire.
Quant à Mario Soares, il a su transmettre à mon parti l'idée que la liberté est la valeur fondamentale d'un socialisme contemporain. L'un des premiers slogans de notre parti était : « Le socialisme en liberté. » Mario Soares a eu le courage d'affronter le communisme et d'empêcher l'instauration d'une nouvelle dictature lors de notre « été chaud » de 1975. Son combat en faveur de la liberté est entré, si je puis dire, dans l'ADN du Parti socialiste portugais. C'est pour moi un pionnier et une grande source d'inspiration personnelle. Je vais vous raconter une histoire le concernant. Dans les années 1990, il a été invité à participer à un Congrès du Parti socialiste français. Il a été pris à partie par un membre important du PS qui l'a accusé de « traîtrise » au motif qu'il n'avait pas formé de Front populaire avec le Parti …