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COLOMBIE: LE TEMPS DES OTAGES

La Colombie se trouve de nouveau sous les projecteurs de l'actualité internationale. Ces dernières semaines ont, en effet, apporté la confirmation qu'Ingrid Betancourt était toujours en vie, ainsi que les otages nord-américains, eux aussi aux mains des FARC depuis des années. Sans même parler de la libération « humanitaire » de deux otages - l'ex-parlementaire Consuelo Gonzalez et Clara Rojas, proche collaboratrice d'Ingrid Betencourt, avec qui elle fut enlevée en 2002 - le 11 janvier 2008. Autant d'événements qui ont rappelé à la communauté internationale, en général, et à la France, en particulier, la gravité de la crise dans laquelle est plongé ce grand pays d'Amérique du Sud.Les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), dirigées d'une main de fer par Manuel Marulanda, dont le nom de guerre est « Tirofijo », ont été créées au début des années 1960. Au terme d'un long processus qui les vit se développer au détriment du Parti communiste colombien (dont elles furent longtemps une forme de bras armé) et se lancer dans le trafic de drogue (qui leur procure désormais d'importants revenus financiers), elles ont été inscrites, lors du sommet euro-latino-américain de Madrid, en mai 2002, sur la liste des mouvements terroristes de l'Union européenne. En 2001, elles l'avaient été par les États-Unis.
Francisco Santos, le vice-président de la République colombienne, connaît mieux qui quiconque ce douloureux dossier. Éditorialiste célèbre dans son pays, il a, en 1990, été enlevé et détenu pendant huit mois par les hommes du parrain mafieux Pablo Escobar. Après sa libération obtenue grâce à une opération des forces de sécurité, Francisco Santos crée un mouvement civique destiné à lutter contre les enlèvements, quels qu'en soient les auteurs. Menacé de mort, il doit quitter la Colombie en 2000... pour mieux y revenir deux ans plus tard, en tant que colistier du candidat Alvaro Uribe, élu président en mai 2002. Au coeur de leur programme : la « sécurité démocratique », c'est-à-dire le rétablissement de l'autorité de l'État sur l'ensemble du territoire national. Pour y parvenir, Uribe et Santos emploient une stratégie à double détente : redéploiement des forces militaires et responsabilisation des citoyens, qui doivent prendre une part active dans la sécurité de leur pays - une sécurité considérée comme une condition essentielle au retour de la confiance des milieux économiques et industriels. Le tandem sera réélu en 2006 pour un nouveau mandat de quatre années.
Voilà donc près de six ans que ce responsable pragmatique, direct et passionné qu'est Francisco Santos poursuit inlassablement son combat. Une détermination qui se manifeste dans cette interview exceptionnelle et « musclée ».
La libération récente de Mmes Gonzalez et Rojas annonce-t-elle une évolution qui laisserait davantage de place à l'optimisme ? Il est encore trop tôt pour l'affirmer.
P. D.

Pascal Drouhaud - Vous êtes vice-président de la république de Colombie depuis près de six ans. Comment le journaliste que vous étiez a-t-il été conduit à exercer de telles responsabilités ?

Francisco Santos - Si Pablo Escobar ne m'avait pas enlevé, je serais toujours journaliste à l'heure qu'il est. Après ma libération, j'ai créé une association, puis une fondation visant à aider les familles des personnes kidnappées. Je connais la douleur et l'angoisse des familles. Mon père a sans doute perdu vingt années de sa vie pendant les huit mois que j'ai passés aux mains d'Escobar. Je n'ai aucun doute sur ce point : quand une personne est enlevée, c'est sa famille qui souffre le plus. Jusqu'alors, il n'existait pas, en Colombie, d'organisation non gouvernementale se proposant de soutenir les familles dans cette épreuve. C'est pourquoi j'ai créé « Pais Libre ».

P. D. - Pourquoi Escobar vous avait-il enlevé ?

F. S. - Pour une raison toute simple : dans mes articles, publiés dans divers organes de presse, j'attaquais très durement les narco-trafiquants en général et M. Escobar en particulier. J'écrivais également, dans le journal El Tiempo, des éditoriaux très violents à l'encontre des cartels de Cali et de Medellin ; or Pablo Escobar dirigeait cette dernière organisation depuis les années 1980. À cette époque, Escobar recourait régulièrement au kidnapping : il a pris pour cibles des journalistes ainsi que des responsables politiques comme Andrès Pastrana, qui était alors candidat à la mairie de Bogota, mais aussi Maruja Pachon Villamizar (1).
Ces enlèvements sont relatés dans un livre du prix Nobel de littérature Gabriel Garcia Marquez intitulé Journal d'un enlèvement. Pablo Escobar se servait de ces enlèvements à la fois comme d'un bouclier et comme d'un moyen lui permettant de terroriser la société. Soit dit en passant, il y a beaucoup de points communs entre ces kidnappings et ceux commis par les FARC...
Une fois libéré, j'ai souhaité faire prendre conscience à mes compatriotes que ces tragédies les concernaient tous. À partir de 1996, mon association est devenue une fondation chargée d'apporter un soutien psychologique aux familles et d'organiser, dans tout le pays, des marches contre les enlèvements. Des centaines de milliers de personnes se sont alors mobilisées pour dire «Assez » à tous les preneurs d'otages, quels qu'ils soient.
En 1999, en créant le mouvement appelé « No más », nous avons poursuivi cette forme de pression populaire contre la violence et les groupes terroristes, qu'il s'agisse des FARC, de l'ELN (2) ou des paramilitaires. En 2000, les FARC ont décidé de m'assassiner. Leur plan a été découvert et j'ai dû, pour des raisons de sécurité, partir vivre à l'étranger. Je me suis installé à Madrid avec ma famille. Durant une visite en Espagne, Alvaro Uribe, alors candidat à la présidentielle de 2002, m'a rencontré. Il a considéré que mon expérience et mon combat pour la promotion des droits de l'homme correspondaient au sens qu'il voulait donner à son message politique. Il m'a proposé de devenir son colistier …