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DIPLOMATIE ESPAGNOLE: LA "VOIE ROYALE"

Jean-Jacques Lafaye - De 1996 à 2003, vous avez été le représentant de l'Union européenne au Proche-Orient. En 2004, vous êtes rentré à Madrid pour participer au gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero. Qu'est-ce qui vous a décidé à franchir le pas ?

Miguel Angel Moratinos - En 2003, après sept années passées au service diplomatique de l'UE, j'ai retrouvé mon pays économiquement fort mais politiquement, socialement et culturellement crispé. L'Espagne m'est apparue déconnectée des grands enjeux du XXIe siècle. Dans ce contexte léthargique, j'ai été séduit par le projet de José Luis Rodriguez Zapatero, qui souhaitait rendre l'Espagne plus généreuse et plus moderne.

J.-J. L. - La gauche est au pouvoir en Espagne, la droite en France... et pourtant, on constate un certain réchauffement des relations franco-espagnoles. Comment l'expliquer ?

M. A. M. - Nos rapports sont au beau fixe, je vous le confirme. Entre le président Sarkozy et le président du conseil Zapatero, il y a une relation personnelle et politique extraordinaire. Pour l'anecdote, ils ont déclaré qu'il ne leur restait plus qu'à organiser un conseil des ministres conjoint !
Plus sérieusement, j'ai vécu des moments très forts lors de la dernière visite d'État du roi et de la reine d'Espagne à Paris, l'an dernier. Cette visite, qui fut un immense succès, nous a permis de vérifier que tous les secteurs de la société française - hommes politiques, entrepreneurs, personnalités du monde de la culture, etc. - adhéraient profondément à ce lien privilégié. Le Roi est rentré de Paris plus déterminé que jamais à renforcer cette proximité avec la France - une proximité qui s'est amplifiée avec la première visite du président Sarkozy, au printemps dernier : ils ont dîné ensemble et parlé au téléphone à plusieurs reprises.
Je connais bien l'histoire des rapports franco-espagnols : j'ai étudié au lycée français, ma femme est française et je suis considéré comme un « afrancesado » dans la classe politique - ce qui pour moi est une fierté et un honneur. Eh bien, je peux vous dire que si l'opinion publique espagnole a connu par le passé une sorte de complexe à l'égard d'une France prétendument « arrogante », ce complexe s'est à présent complètement dissipé au profit d'une admiration et d'un respect mutuels.

J.-J. L. - Vous venez de mentionner le roi Juan Carlos. Quel rôle joue-t-il dans la vie politique espagnole et, en particulier, dans la diplomatie ?

M. A. M. - Il a joué un rôle déterminant dans l'ouverture de l'Espagne au monde et dans la consolidation du prestige de notre démocratie. Au lendemain de la fin de la dictature, il a été notre ambassadeur sur toute la planète et a rempli ses fonctions avec une ardeur, un savoir-faire et une intelligence uniques. Je voue une immense admiration à Sa Majesté, dont j'ai fait la connaissance bien avant de devenir ministre. Le roi entretient de très bons rapports avec de nombreuses personnalités, non seulement en Europe mais aussi en Afrique du Nord et dans les pays du …