La communauté internationale dans son ensemble estime que l'indépendance du Kosovo, qui est peuplé à plus de 90 % d'Albanais, est inévitable. Et que le maintien du statu quo est devenu à la fois « intenable » et dangereux pour la région. Mais l'obstination de la Russie - qui soutient ses « frères » serbes et a menacé d'opposer son veto à une résolution du Conseil de sécurité favorisant l'indépendance - ferme la porte à tout règlement du problème à l'ONU. Du coup, les États-Unis, ainsi qu'une grande majorité de pays européens, se sont dits décidés à reconnaître l'indépendance une fois celle-ci proclamée par Pristina. Quant à l'Union européenne, elle va envoyer une mission de police pour aider à stabiliser la province et à « surveiller » le fonctionnement de ses jeunes institutions.
De nombreuses incertitudes pèsent néanmoins sur les mois à venir. Jusqu'où la Serbie et la Russie sont-elles prêtes à aller pour tenter de faire capoter le processus ? L'Europe réussira-t-elle enfin à parler d'une même voix et à empêcher les extrémistes d'exercer leur pouvoir de nuisance ? L'indépendance aura-t-elle un effet domino dans les Balkans ? Entraînera-t-elle la sécession de la partie nord du Kosovo (entièrement serbe), des troubles dans le sud de la Serbie (majoritairement albanais), voire le démantèlement de la Macédoine, où vit une importante minorité albanaise (plus de 20 % de la population) ? Qu'adviendra-t-il, enfin, de la petite minorité serbe du Kosovo qui ne vit pas dans le nord de la province ?
Pour conduire le pays à travers ces turbulences, les Kosovars albanais ont désigné Hashim Thaçi. À 39 ans, l'ancien chef de l'UCK (la guérilla kosovare qui a bouté les forces serbes hors de la province, avec l'aide de l'Otan) a été nommé premier ministre en décembre dernier, quelques semaines après la victoire aux législatives de son parti, le Parti démocratique du Kosovo. Cet homme secret, peu communicatif, n'est pas un idéologue, contrairement à de nombreux anciens chefs de la guérilla. Son seul et unique but a toujours été d'obtenir l'indépendance du Kosovo. Au besoin par la force. Après s'être longtemps méfiée de cet ancien guérillero jugé trop intransigeant, la communauté internationale a fini par s'en accommoder. Il faut dire que, depuis 1999, Hashim Thaçi a toujours joué le jeu avec les Occidentaux et a réussi à faire accepter d'importantes concessions à sa base. Ses adversaires affirment qu'il n'exerce pas une influence suffisamment profonde et multiforme sur le pays pour pouvoir se maintenir au sommet. Mais sa longévité politique prouve, au contraire, qu'il est sans doute l'un des responsables les plus habiles de la future ex-province serbe. Reste à savoir s'il se montrera capable de relever les immenses défis qui attendent son pays, notamment en matière de sécurité et de développement économique...
I. L.
Isabelle Lasserre - Après de longues années de lutte armée puis de combats diplomatiques, le Kosovo semble enfin, en ce début 2008, sur le point d'obtenir l'indépendance. Quels seront les grands défis de ce nouveau statut pour votre pays ?
Hashim Thaçi - L'indépendance nous offrira des possibilités uniques, exceptionnelles. Mais les attentes de la population portent en priorité sur la situation sociale et économique. Ce sera donc notre premier défi. Ces dernières années, faute d'indépendance, le Kosovo n'a pas vraiment pu se développer économiquement. Notre statut actuel ne nous permet pas d'accéder aux aides des institutions financières internationales. Quant aux investisseurs étrangers, ils hésitent à s'engager. C'est tout ce contexte d'incertitude que l'indépendance va lever. Le changement, croyez-moi, sera immense ! L'autre grand défi concerne le fonctionnement des institutions démocratiques. Voilà déjà plusieurs années que nous disposons de ces institutions, et elles fonctionnent plutôt bien : comme vous le savez, les élections parlementaires et locales se déroulent convenablement et le Parlement légifère. Il va cependant falloir encore améliorer ce système. Nous devrons particulièrement veiller à ce que toutes les communautés du Kosovo se sentent bien intégrées dans leur pays.
I. L. - Quels seront les risques de l'indépendance ?
H. T. - Le maintien du statu quo comporte bien plus de risques que l'accession à l'indépendance ! Cette dernière, j'en suis convaincu, ne nous apportera que des progrès. Elle représentera un aboutissement pour les deux millions de Kosovars qui pourront, enfin, prendre leur destin en main. J'entends parfois dire que la Serbie menace de déstabiliser la région. Mais cela n'arrivera pas. Les pays des Balkans savent bien que ce qui pourrait mettre en danger la stabilité de la zone, ce serait le rejet de notre désir d'indépendance. Et puis, ne perdez pas de vue que l'indépendance ne sera que la reconnaissance d'une situation de fait qui existe depuis déjà plus de huit ans. En tout cas, si les Serbes tentent de profiter de la nouvelle donne pour semer la pagaille, ils échoueront. La communauté internationale nous a donné des assurances en ce sens. Quant à moi, je serai le premier ministre de tous les citoyens, y compris des Serbes. Je ferai tout pour faciliter la coexistence de tous les Kosovars, indépendamment de leur ethnie.
I. L. - Craignez-vous les interférences de la Russie ?
H. T. - Au sein du Groupe de contact (1), la Russie a d'abord joué un rôle positif pendant les négociations. Puis elle est devenue un obstacle à notre indépendance. Et il est hors de question que le Kosovo soit l'otage de la Russie. Heureusement, depuis le 10 décembre (2), elle ne peut plus exercer son pouvoir de nuisance. Les institutions du Kosovo vont proclamer l'indépendance de manière unilatérale et cette indépendance sera reconnue par les États-Unis et la plupart des pays occidentaux. Moscou devra s'y habituer. J'aimerais que notre peuple se souvienne de la Russie comme d'un pays qui a reconnu, et non bloqué, son indépendance. De toute façon, avec ou sans l'accord du …
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