R. H.
Richard Heuzé - Le GIEC (4), une institution créée en 1988 par l'OMM et le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), s'est récemment vu décerner le prix Nobel 2007 de la paix, conjointement avec l'Américain Al Gore. Qu'avez-vous ressenti en l'apprenant ?
Michel Jarraud - Une grande fierté. Ce prix Nobel récompense le sérieux du travail du Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat et souligne sa crédibilité, qui n'est contestée par personne. Cette structure intergouvernementale ne conduit pas de recherches elle-même. Sa mission est de faire régulièrement le point sur les travaux que des milliers de scientifiques consacrent au changement climatique. Ses rapports sont entérinés par les différents gouvernements. On aurait pu craindre que ces derniers essaient d'infléchir les conclusions du GIEC dans un sens qui leur serait plus favorable. Jusqu'à présent, en tout cas, ils ne l'ont jamais fait.
R. H. - Généralement, le prix Nobel de la paix récompense des personnalités impliquées dans la défense des droits de l'homme ou dans la pacification de conflits armés. En quoi l'action du GIEC est-elle liée à ce type de préoccupations ?
M. J. - Attribuer le Nobel de la paix au GIEC et à Al Gore revient à reconnaître, pour la première fois, que le changement climatique a un impact direct sur la sécurité collective et, donc, sur la paix. J'en veux pour preuve le nombre déjà important de réfugiés climatiques et de drames humains (comme ceux provoqués par les tensions autour du partage des points d'eau) qui risquent fort de provoquer la déstabilisation de plusieurs régions du monde. On le voit, par exemple, en Afrique où les conséquences des sécheresses et la raréfaction des ressources en eau entraînent déplacements de populations et conflits armés. De même, l'accès à l'énergie est une source potentielle de tensions. De ce point de vue, ceux qui cherchent à restreindre autant que possible le changement climatique contribuent de manière fondamentale à la paix mondiale.
R. H. - L'OMM annonce depuis longtemps le réchauffement de la planète. Pourtant, le protocole de Kyoto (5) s'achèvera en 2012 sur de bien maigres résultats. Comment pourrait-il en être autrement, du reste ? Les deux plus grands pollueurs mondiaux ne sont pas concernés : les États-Unis ne l'ont pas ratifié et la Chine n'a pas été astreinte à limiter ses rejets de gaz carbonique dans l'atmosphère. N'avez-vous pas l'impression de prêcher dans le désert ?
M. J. - C'est vrai. Nous avons lancé la première alerte sur l'augmentation des gaz à effet de serre il y a plus de trente ans, en 1976 (6). Il a fallu pas mal de temps pour en mesurer réellement le danger. Au début, malgré tous nos avertissements, les scientifiques se demandaient - assez légitimement, d'ailleurs - si le phénomène était vraiment dramatique et si les océans n'allaient pas tempérer ce réchauffement. D'autant que les signes du réchauffement pouvaient alors être attribués à la variabilité naturelle du climat. Il a fallu des années d'observations méticuleuses pour parvenir à distinguer ces deux aspects.
R. …
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