Les 3 et 9 mars prochain, les Espagnols se rendront aux urnes pour élire leurs parlementaires. Le Parti socialiste (PSOE) du premier ministre sortant, José Luis Zapatero, apparaît comme le favori des sondages. Son principal concurrent sera, une nouvelle fois, le Parti populaire (PP), le grand parti de la droite libérale. Comme lors des précédentes élections législatives, tenues en mars 2004, le PP sera conduit par son chef actuel, Mariano Rajoy. Bon nombre d'Espagnols estiment pourtant que la droite aurait plus de chances de l'emporter si son ancien chef emblématique, José Maria Aznar, qui dirigea le gouvernement durant deux mandats successifs (1996-2000 et 2000-2004), décidait de reprendre du service. Mais l'intéressé semble avoir définitivement tourné la page...M. Aznar, 57 ans, qui a quitté la vie politique en 2004, conserve en tout cas une grande influence, aussi bien dans son pays qu'à l'extérieur. Aux yeux de ses compatriotes, il demeure l'homme qui incarne le mieux les idées libérales. Surtout, son nom reste attaché à une période de croissance ininterrompue. Il est vrai que, durant ses deux mandats, le chômage - qui, sous les socialistes, était monté jusqu'à un taux record de 20 % - a diminué au point de passer sous la barre des 10 %, grâce à une politique économique fondée sur la libération du travail au détriment de l'assistanat. Ce n'est pas pour rien que, dans le monde entier, les « années Aznar » sont souvent qualifiées de « miracle économique espagnol ».
Sur le plan international, José Maria Aznar a opéré un net rapprochement de son pays avec les États-Unis. Affichant ouvertement son amitié personnelle avec George W. Bush, il a soutenu sans réserve l'opération américaine en Irak, où il a envoyé un contingent. Preuve de la popularité de la droite et de son chef : malgré cette décision à laquelle 80 % des Espagnols étaient opposés, le dauphin d'Aznar, Mariano Rajoy, était donné grand favori des élections du 15 mars 2004... jusqu'au matin du 11 mars 2004, date des sanglants attentats de Madrid perpétrés par un réseau hispano-maghrébin d'Al-Qaïda. On connaît la suite : le gouvernement sortant a immédiatement désigné le groupe terroriste basque ETA comme étant le responsable du massacre.
L'opinion publique y vit une « manipulation » destinée à dissimuler le fait que, en s'alliant aux États-Unis dans l'aventure irakienne, l'Espagne était devenue une cible de premier choix pour les terroristes islamistes. Une idée sur laquelle le candidat de la gauche, José Luis Zapatero, allait surfer à l'envi. En moins de trois jours, les sondages s'inversèrent et le Parti socialiste remporta les élections législatives. Zapatero, véritable antithèse idéologique et psychologique d'Aznar, devint premier ministre.
L'ancien chef du gouvernement assure aujourd'hui ne pas vouloir briguer un nouveau mandat. Sa vie « post-politique » semble le ravir : il enseigne à la Georgetown University de Washington et sillonne la planète, ses talents de conférencier étant très appréciés tout autour du globe. Son influence morale et intellectuelle sur le PP n'en demeure pas moins prégnante, en particulier grâce à la prestigieuse fondation qu'il dirige, la FAES, un think tank libéral dont le rayonnement s'étend jusqu'aux États-Unis et à l'Amérique latine. Une fondation à laquelle il assigne comme tâche principale de redonner à la droite libérale sa légitimité face à ce qu'il appelle l'« hégémonie culturelle et intellectuelle » de la gauche. Quatre ans après la fin (provisoire ?) de sa brillante carrière politique, M. Aznar n'a rien perdu de sa détermination...
A. D. V.
Alexandre Del Valle - Alors que l'Espagne s'apprête à connaître des élections parlementaires déterminantes, vous tirez le signal d'alarme. Selon vous, le pays se trouve sur une pente dangereuse : l'idée même de liberté est remise en question. Cette préoccupation guide votre dernier ouvrage, qui se présente sous la forme d'un recueil de lettres écrites à un jeune Espagnol auquel vous expliquez votre vision politique. En quoi la liberté est-elle en danger en Espagne ?
José Maria Aznar - Dans cet ouvrage, je tente d'expliquer ce qu'est la liberté car, trop souvent, la jeunesse en a une acception erronée. Les jeunes Espagnols qui se réclament de l'antilibéralisme se trompent sur la définition du concept de liberté. Ils veulent multiplier les lois pour protéger ce qu'ils croient être la liberté. Or, sous prétexte de garantir notre bonheur, le droit finit par pénétrer toutes les sphères de la vie privée, nous enfermant en réalité dans une société moralisante et intolérante. L'antilibéralisme en Espagne est souvent le résultat du politiquement correct et de l'interventionnisme - pour ne pas dire du totalitarisme intellectuel - de la gauche au pouvoir. Il est regrettable de constater que cette politique qui déforme le droit et les valeurs de la société occidentale semble trouver plus d'écho chez les jeunes que la tradition libérale.
A. D. V. - Comment expliquez-vous qu'il existe en Espagne un tel sentiment antilibéral chez les jeunes ?
J. M. A. - C'est un grand paradoxe. Depuis le XIXe siècle, l'Espagne abrite une forte tradition libérale. D'ailleurs, le terme « libéral » lui-même est d'origine espagnole (il fut employé pour la première fois par l'assemblée constituante de Cadix au début du XIXe siècle). Hélas, aujourd'hui, les hommes politiques qui se réclament du libéralisme au sens européen du terme sont rares. Ce paradoxe n'est pas nouveau : déjà du temps de l'URSS, la majorité des intellectuels européens soutenaient le communisme. Seule une poignée d'irréductibles s'était élevée contre cette vision, en particulier les Français Jean-François Revel et Raymond Aron.
Je crois aussi que le rôle de l'éducation ne doit pas être sous-estimé dans la tendance des jeunes à se réclamer de l'anti-libéralisme. Les idées soixante-huitardes du gouvernement de Zapatero ont détruit les notions d'autorité et de responsabilité à l'école.
A. D. V. - Vous faites sans doute référence à une matière que le gouvernement de Zapatero a imposée à l'école primaire et secondaire : l'« aprentissage de la citoyenneté » (1)...
J. M. A. - En effet. Cette matière est un véritable « catéchisme du bon socialiste » ! Endoctrinée par un gouvernement de soixante-huitards, la jeunesse tend à se complaire dans une espèce de relativisme moral selon lequel « tout se vaut ». D'où mon livre, qui constitue un rappel à l'ordre : je ne voudrais pas que notre système de valeurs, fruit d'une histoire millénaire, soit mis à mal. La jeunesse doit réagir pour que perdure la liberté, pierre angulaire de toute société occidentale.
A. D. V. - Vous parlez sans cesse de « système …
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