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SYRIE: LE COMBAT DES FRERES MUSULMANS

Ali Sadreddin Bayanouni est né en 1938 dans une famille religieuse d'Alep, la capitale du nord de la Syrie. Dès 1954, alors qu'il entame des études de droit, il rejoint la branche syrienne des Frères musulmans (1). Emprisonné au milieu des années 1970 du fait de ses activités au sein de la confrérie (son père, arrêté pour les mêmes raisons, meurt en détention à Alep en 1975), il en devient le numéro deux en 1977 et quitte le pays en 1979 pour s'établir en Jordanie. Il devient le chef suprême de la branche syrienne de l'organisation islamique en 1996. En 2000, il doit s'exiler à nouveau, à la demande des autorités jordaniennes : il faut sans doute y voir un geste de bonne volonté d'Abdallah II vis-à-vis de Bachar el-Assad, qui vient de succéder à son père Hafez, décédé en juin. Installé aujourd'hui à Londres, Ali Sadreddin Bayanouni devrait quitter la direction des Frères musulmans au printemps 2008 au terme des deux mandats de six ans prévus par les statuts de son mouvement, qui apparaît comme l'un des plus structurés parmi ceux qui composent l'opposition syrienne, en dépit des handicaps dont il souffre : les principaux responsables des Frères vivent en exil depuis bientôt quarante ans, et l'appartenance à la confrérie reste passible de mort en Syrie.Pour tenter de rompre avec cet isolement imposé par le régime, les Frères musulmans syriens se sont convertis, au moins dans leurs discours, à un certain pragmatisme politique : ils ont noué des liens avec l'opposition laïque, au grand dam des autorités de Damas qui ont longtemps profité de la réprobation que les Frères suscitaient après les violences de la fin des années 1970 - des violences décrites par les spécialistes de la région comme la première guerre civile à avoir opposé, au Proche-Orient, un pouvoir autoritaire et un mouvement islamiste (2).
La complémentarité entre, d'une part, l'opposition laïque - qu'incarnent des personnalités résidant toujours en Syrie, comme l'ancien député Riyad Seif ou les intellectuels Anouar Al-Bounni et Michel Kilo - et, d'autre part, un courant certes en exil mais en phase avec la réislamisation de la société syrienne, est évidente. Dans cet entretien exceptionnel, M. Bayanouni s'explique sur cette alliance apparemment contre nature mais qui représente potentiellement une véritable menace pour le régime de Damas...
G. P.

Gilles Paris - Qu'est-ce qui a changé en Syrie au cours de ces dernières années ?

Ali Sadreddin Bayanouni - La Syrie n'a pas changé fondamentalement depuis la mort de Hafez el-Assad. C'est toujours une dictature dans laquelle les services de sécurité jouent un rôle de premier plan. Comme à l'époque de Hafez, les partis d'opposition sont bâillonnés. Il y a tout de même une différence : Hafez el-Assad était un responsable expérimenté, capable de manoeuvrer pour le profit de la Syrie. Ce n'est pas le cas de son fils, qui a commis de nombreuses erreurs au cours de ces dernières années. Résultat : la Syrie est désormais très isolée. Prenez ses relations avec l'Iran. Les deux pays se sont rapprochés à l'époque de Hafez el-Assad. Mais Hafez se servait de sa proximité avec Téhéran pour faire pression sur les pays du Golfe (3) alors que, aujourd'hui, c'est au contraire l'Iran qui manipule la Syrie. Sous Bachar, notre pays est devenu une simple carte dans le jeu de Téhéran ! Autrefois, les avantages de cette relation étaient entièrement syriens ; à présent, ils sont iraniens.

G. P. - Que reste-t-il des liens politiques avec l'Arabie saoudite ?

A. B. - En règle générale, les pays arabes ont toujours essayé d'entretenir de bonnes relations avec la Syrie ; mais compte tenu des erreurs de Bachar el-Assad, de ses déclarations intempestives et de ses tentatives visant à interférer dans les affaires intérieures libanaises, irakiennes ou jordaniennes, tous ont pris leurs distances. Après l'assassinat de Rafic Hariri, en février 2005, les Saoudiens ont fait preuve de patience en espérant que le régime prendrait conscience de l'impasse dans laquelle il se fourvoyait (4). Ils ont donné une chance à Bachar el-Assad, mais il n'a pas su la saisir.

G. P. - Entre 1979 et 1982, le régime a porté des coups sévères à votre mouvement. Pourtant, un peu plus tard, des contacts ont été noués entre les Frères et les dirigeants de Damas. Quelle en a été la substance ?

A. B. - Je viens de vous dire que Hafez el-Assad avait une grande intelligence politique ; eh bien, les contacts qu'il a pu avoir avec les Frères musulmans en 1980, parallèlement à la répression, en 1984 et en 1987 (les derniers auxquels j'ai participé), en sont la preuve. Ces contacts n'ont pas abouti parce que, fondamentalement, le régime ne voulait pas changer. Mais, au moins, c'était un début. Au moment de la succession, nous avons fait passer un message indiquant que nous étions prêts à discuter avec le nouveau chef de l'État, même si nous avions des réserves sur les modalités de la succession et si nous savions bien qu'un changement de personnes ne pouvait suffire en lui-même. Nous avons fait dire à Bachar que nous comprenions que des réformes ne pouvaient être que graduelles et que, dans un premier temps, nous pourrions nous contenter de signaux. Ce message lui est parvenu, mais il a fait la sourde oreille. Depuis, il n'y a …