Grégory Rayko - Madame le Ministre, commençons par l'élection de Barack Obama. Selon vous, cette victoire est-elle le signe que les préjugés raciaux sont définitivement enterrés aux États-Unis ?
Rama Yade - Il serait présomptueux de le penser. L'élection de Barack Obama ne fera pas disparaître comme par miracle la surreprésentation des Noirs dans les prisons américaines (1) ni les divisions profondes de la société américaine. Mais quel pas en avant extraordinaire ! Quel formidable espoir ! La première chose qui m'a frappée n'est pas tant le fait qu'un Noir ait gagné cette élection, mais que ce Noir ait été le meilleur des candidats et que c'est pour cette raison qu'il a été élu, pas pour des raisons de couleur de peau. Ensuite, j'ai été bouleversée par les changements de l'Amérique profonde : pensez que la Virginie, capitale de l'Amérique ségrégationniste et esclavagiste, a basculé en faveur d'Obama ! Quarante ans à peine après le mouvement des droits civiques! C'est une accélération de l'Histoire si incroyable qu'elle nous laisse encore incrédules. Finalement, cette élection représente le triomphe d'une certaine idée de l'Amérique : l'Amérique post-raciale. D'une certaine idée de l'homme aussi : l'homme universel qui n'en est pas moins patriote.
G. R. - Pourquoi n'y a-t-il pas un Obama français ?
R. Y. - On fait bien de se poser la question de l'absence d'un Obama français maintenant... mais on aurait pu se la poser plus tôt ! Pourtant, il fut un temps où, sur cette question, la France était en avance sur les États-Unis. Il y a un peu plus de quarante ans, en Amérique, certains lieux publics (bus, restaurants...) étaient interdits aux Noirs. À la même époque, à Paris, la mixité était telle que des intellectuels noirs américains venaient à Paris pour avoir le droit de pouvoir entrer dans les mêmes endroits que les Blancs ! On avait donc, en France, pris une certaine avance, y compris sur le plan politique. Rappelez-vous qu'en 1962 le Sénat, réputé pour son conservatisme, était présidé par Gaston Monnerville, d'origine guyanaise (2). La France n'a jamais été fermée à la diversité. On a voulu le faire croire, mais c'est faux. En fait, on a régressé. D'ailleurs, si aujourd'hui quelqu'un lançait l'idée d'un président noir à la tête du Sénat, tout le monde serait incrédule ! C'est dire l'ampleur de la régression !
G. R. - Pourquoi ?
R. Y. - Parce que les partis politiques sont conservateurs. La politique est un système compétitif qui favorise les héritiers et les cooptés. Du coup, les hommes politiques se ressemblent tous et, même s'ils sont élus, ils représentent de moins en moins la population, ce qui explique le fossé entre les élites politiques et le peuple. Cela vaut pour la diversité, mais aussi pour les femmes, les jeunes et les catégories populaires, qui se retrouvent de facto marginalisés dans le système politique. Quel gâchis ! Une société qui ne se renouvelle pas se meurt. Un pays qui ne se régénère pas ne produit plus d'idées …
Rama Yade - Il serait présomptueux de le penser. L'élection de Barack Obama ne fera pas disparaître comme par miracle la surreprésentation des Noirs dans les prisons américaines (1) ni les divisions profondes de la société américaine. Mais quel pas en avant extraordinaire ! Quel formidable espoir ! La première chose qui m'a frappée n'est pas tant le fait qu'un Noir ait gagné cette élection, mais que ce Noir ait été le meilleur des candidats et que c'est pour cette raison qu'il a été élu, pas pour des raisons de couleur de peau. Ensuite, j'ai été bouleversée par les changements de l'Amérique profonde : pensez que la Virginie, capitale de l'Amérique ségrégationniste et esclavagiste, a basculé en faveur d'Obama ! Quarante ans à peine après le mouvement des droits civiques! C'est une accélération de l'Histoire si incroyable qu'elle nous laisse encore incrédules. Finalement, cette élection représente le triomphe d'une certaine idée de l'Amérique : l'Amérique post-raciale. D'une certaine idée de l'homme aussi : l'homme universel qui n'en est pas moins patriote.
G. R. - Pourquoi n'y a-t-il pas un Obama français ?
R. Y. - On fait bien de se poser la question de l'absence d'un Obama français maintenant... mais on aurait pu se la poser plus tôt ! Pourtant, il fut un temps où, sur cette question, la France était en avance sur les États-Unis. Il y a un peu plus de quarante ans, en Amérique, certains lieux publics (bus, restaurants...) étaient interdits aux Noirs. À la même époque, à Paris, la mixité était telle que des intellectuels noirs américains venaient à Paris pour avoir le droit de pouvoir entrer dans les mêmes endroits que les Blancs ! On avait donc, en France, pris une certaine avance, y compris sur le plan politique. Rappelez-vous qu'en 1962 le Sénat, réputé pour son conservatisme, était présidé par Gaston Monnerville, d'origine guyanaise (2). La France n'a jamais été fermée à la diversité. On a voulu le faire croire, mais c'est faux. En fait, on a régressé. D'ailleurs, si aujourd'hui quelqu'un lançait l'idée d'un président noir à la tête du Sénat, tout le monde serait incrédule ! C'est dire l'ampleur de la régression !
G. R. - Pourquoi ?
R. Y. - Parce que les partis politiques sont conservateurs. La politique est un système compétitif qui favorise les héritiers et les cooptés. Du coup, les hommes politiques se ressemblent tous et, même s'ils sont élus, ils représentent de moins en moins la population, ce qui explique le fossé entre les élites politiques et le peuple. Cela vaut pour la diversité, mais aussi pour les femmes, les jeunes et les catégories populaires, qui se retrouvent de facto marginalisés dans le système politique. Quel gâchis ! Une société qui ne se renouvelle pas se meurt. Un pays qui ne se régénère pas ne produit plus d'idées …
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