Yves Messarovitch - Madame le Ministre, la crise que nous devons affronter offre un visage inconnu jusqu'ici. Il ne s'agit ni d'une crise de l'offre ni d'une crise de la demande mais, plutôt, d'une crise de l'intermédiation financière. Compte tenu des sommes en jeu, sommes-nous réellement armés pour y faire face ?
Christine Lagarde - Il s'agit effectivement d'une crise complexe et à visages multiples, qui implique non seulement l'activité d'intermédiaires financiers mais, plus largement, la perception et la maîtrise du risque, l'information des agents économiques, les marchés de matières premières, les déséquilibres épargne-investissement au niveau international... Par conséquent, pour reprendre une distinction un peu académique, il s'agit à la fois d'une crise de l'offre et d'une crise de la demande... même si je considère que ce constat n'apporte pas grand-chose à l'analyse ! L'important, c'est de comprendre que si la situation est à l'évidence nouvelle dans son ampleur et sa brutalité, elle n'est pas totalement inconnue pour autant. Les réactions rapides et massives des autorités publiques ont montré que les leçons de la crise des années 1930 et, plus près de nous, de la déflation japonaise, ont bien été intégrées. Depuis une quinzaine d'années, de nombreuses réflexions ont été menées afin de définir la meilleure réponse à apporter à ce type de problèmes. Ce qui est inédit, c'est la concomitance de nombreux problèmes ! C'est ce qui rend le système financier globalement très instable en ce moment.
Y. M. - Les banques sont-elles les seules responsables de ce séisme financier ?
C. L. - Les banques ont sans aucun doute leur part de responsabilité dans les excès qui ont conduit à cette crise. Excès de crédit aux États-Unis, où un système de distribution de prêts sans garde-fous a conduit à une crise immobilière sans précédent. Excès de complexité, aussi : la profession financière a parfois perdu la maîtrise des outils qu'elle a créés, quand elle n'a pas engendré des monstres. Excès de cupidité, avec la mise en place de politiques de rémunération qui encourageaient la fuite en avant et la recherche de bonus faciles sur des prises de risques immodérées. Sans oublier l'excès de volatilité qui s'est emparé des marchés depuis la défaillance de la banque Lehman Brothers. Aujourd'hui, notre responsabilité en tant que dirigeants politiques consiste à construire, avec les professionnels, de nouvelles règles du jeu pour faire en sorte que ce qui s'est produit dernièrement ne puisse plus se reproduire.
Y. M. - Comment expliquer que personne n'ait envisagé un désastre d'une telle ampleur ?
C. L. - Le fonctionnement des marchés financiers reposait sur un certain nombre d'éléments induisant des risques - comme l'accès à une liquidité de court terme ou les imperfections des lois sur la probabilité - qui avaient été sévèrement sous-évalués, voire totalement négligés. Des organisations et des systèmes particulièrement opaques et complexes ont été bâtis sur la base de ces éléments. Certains s'inquiétaient de cette dérive mais leur inquiétude rencontrait peu d'écho. Souvent, quand un édifice semble tenir debout, peu de gens …
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