L'ATOUT DE LA DIASPORA

n° 122 - Hiver 2009

La République d'Arménie, qui a succédé à la République socialiste soviétique d'Arménie, a véritablement refait connaissance avec la diaspora arménienne au lendemain de son indépendance. Certes, des liens existaient à l'époque soviétique, mais ils restaient limités à certaines composantes de la diaspora et aux milieux intellectuels - et cela, dans un cadre très contrôlé. La population de l'Arménie soviétique est d'ailleurs elle-même le fruit d'une symbiose entre Arméniens de l'Empire russe et rescapés venus de l'Empire ottoman, auxquels se sont adjoints, au fil du temps, notamment en 1946-1948, une vague de nouveaux migrants issus des quatre coins de la diaspora. Les vraies retrouvailles entre les deux entités arméniennes ont eu lieu lors du tremblement de terre de décembre 1988 qui a détruit le nord-ouest du pays, suscitant une mobilisation internationale sans précédent. En quelques jours, des milliers d'Arméniens de la diaspora se sont organisés à travers le monde pour porter secours à un pays que la plupart d'entre eux ne connaissaient pas. Isolée durant des décennies, l'Arménie découvrait soudain un pan entier de la nation arménienne avec lequel elle n'avait eu jusqu'alors que des contacts « coordonnés » par le pouvoir soviétique. Cet événement tragique s'est produit alors même que le « Mouvement Karabagh » d'Arménie, qui militait pour la démocratie et le rattachement du Haut-Karabagh, secouait l'URSS de Mikhaïl Gorbatchev depuis des mois. Malgré l'état d'urgence imposé par Moscou et les tracasseries des services consulaires soviétiques qui rechignaient à délivrer des visas, la diaspora s'est engagée, toutes tendances confondues, dans une vaste entreprise de solidarité, dont la figure emblématique restera sans doute Charles Aznavour (1).
Cette rencontre entre les deux composantes de la nation arménienne marquait la fin d'une époque et le début d'une relation durable. Jusqu'alors, le terme de « diaspora » s'appliquait aux communautés arméniennes qui s'étaient formées après le génocide de 1915, dispersant aux quatre vents les rescapés, notamment au Proche-Orient, aux États-Unis et en France. Or le séisme de décembre 1988, suivi du conflit avec l'Azerbaïdjan autour du sort du Haut-Karabagh, auquel il faut ajouter la crise économique consécutive à la fin de l'URSS, ont provoqué dans les trois États nouvellement indépendants du Sud-Caucase une véritable catastrophe. Pénuries énergétiques, chute brutale de la production industrielle, baisse vertigineuse du niveau de vie ont entraîné une saignée démographique terrible : des centaines de milliers d'Arméniens sont partis s'installer dans la Fédération de Russie, en particulier au Nord-Caucase (région de Krasnodar), à Moscou et à Saint-Pétersbourg, où ils se sont intégrés à des communautés établies dès le XVIIIe siècle et, surtout, à l'époque soviétique. Une nouvelle diaspora a ainsi surgi sous nos yeux, en moins de vingt ans. Forte de près de deux millions d'âmes, dotée de ses propres repères, elle conserve un lien encore fort avec les familles restées au pays.
Lorsqu'on parle de diaspora arménienne, il faut donc prendre en compte au moins deux de ses composantes : la diaspora constituée dans les années 1920 à partir des rescapés de 1915 et celle qui s'est récemment …