Pour la seconde fois au cours du XXe siècle, un État indépendant arménien naissait sous nos yeux. Cet État, nous l'avions perdu en 1375, lorsque le royaume arménien de Cilicie tomba sous les coups des mamelouks. Emmené en captivité au Caire, le dernier roi arménien Léon VI de Lusignan ne fut libéré que des années plus tard contre le versement d'une rançon par le roi Juan Ie de Castille. Jusqu'à sa mort, en 1393, Léon VI sillonna l'Europe à la recherche d'un souverain qui l'aiderait à restaurer son royaume chrétien. En vain. Pendant des siècles, tandis que d'autres Arméniens illustres, installés à Madras, à Londres, à Paris, à Moscou ou à Saint-Pétersbourg, reprenaient le flambeau du combat pour l'indépendance, en Arménie même, les princes de Karabagh et de Zanguézour menaient une lutte acharnée pour la libération de leur terre.
En ce 23 août 1990, ces images glorieuses défilaient devant mes yeux. Ce jour-là, j'étais spécialement venu du Karabagh où je dirigeais le Comité des forces d'autodéfense. Je suis né et j'ai grandi là-bas, et j'y ai vécu. Avec dix autres ressortissants du Karabagh, j'avais été élu député du nouveau Parlement de l'Arménie. C'étaient des années chargées d'espérances. L'Union soviétique était au bord de l'effondrement. La perestroïka de Gorbatchev avait miné les fondements de l'«empire d'acier». Une énorme bouffée de liberté avait envahi nos poumons et rien ne pouvait plus nous retenir. En février 1988, le Conseil de la région autonome du Haut-Karabagh, avec le soutien unanime de la population, s'était adressé à Moscou, à Bakou et à Erevan pour demander la réunification avec la mère-patrie. Ce moment, nous l'attendions depuis de longues années. Pendant des décennies, nous avions caressé l'espoir qu'un jour une autorité juste réviserait la décision scélérate du Bureau caucasien du Parti bolchevik qui, en 1921, avait arraché le Haut-Karabagh à l'Arménie pour le rattacher à l'Azerbaïdjan. Le peuple du Karabagh n'a jamais accepté cette injustice, d'autant que les autorités soviétiques de l'Azerbaïdjan menaient une politique anti-arménienne, essayant régulièrement de fermer des écoles arméniennes, des foyers culturels, des églises. En 1988, nous croyions sincèrement que l'heure de vérité avait enfin sonné, que la détermination du peuple était inflexible et que personne n'oserait s'y opposer.
Le pouvoir soviétique était à l'agonie et peinait à trouver une …