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POURQUOI IL FAUT PARLER AVEC L'IRAN

Ancien responsable de la CIA - où il a longtemps été chef de région au Moyen-Orient, en poste notamment au Liban et en Syrie, mais aussi en Inde -, Robert Baer a quitté l'Agence pour devenir analyste indépendant et écrivain. Cet expert respecté se montre volontiers iconoclaste. Deux de ses précédents livres - La Chute de la CIA, qui dresse un portrait accablant de la centrale américaine, et Or noir et Maison Blanche, consacré aux relations entre Washington et Riyad - ont été des succès internationaux, à la fois grâce à la liberté de ton qu'il y emploie et aux critiques acerbes qu'il n'hésite pas à y exprimer à l'égard de la politique américaine. Robert Baer a même inspiré Hollywood puisque le personnage qu'incarne George Clooney dans le film Syriana lui doit beaucoup.Dans son dernier ouvrage, qui décrit l'« irrésistible ascension » de l'Iran, l'ex-agent secret explique comment Téhéran impose peu à peu son pouvoir sur tout le Moyen-Orient et fait trembler les pays arabes du golfe Persique. Selon lui, l'Occident se doit de reconsidérer ses relations économiques et militaires avec le pouvoir des mollahs. Plutôt que de multiplier les menaces d'intervention armée ou les sanctions économiques, la seule solution permettant de stabiliser la zone, affirme M. Baer, est de négocier. Dans cet entretien exclusif, il développe son analyse avec énergie et conviction. Sera-t-il entendu par la nouvelle administration américaine, dont les principaux représentants ont soufflé le chaud et le froid sur le dossier iranien pendant la campagne présidentielle ? En tout cas, ses propos détonnent au regard de la pensée politique américaine dominante vis-à-vis de Téhéran marquée, du temps de George Bush, par un refus de discuter avec le régime islamique - sauf sur l'Irak - et par de régulières menaces d'intervention armée...
J.-P. P. Jean-Pierre Perrin - Sans l'assistance de l'Iran, le Hamas comme le Hezbollah ne seraient pas devenus ce qu'ils sont. Les tragiques événements du Proche-Orient confirment ce diagnostic. D'où ma première question : selon vous, Barack Obama modifiera-t-il ce qu'était, sous George W. Bush, la politique iranienne des États-Unis ?
Robert Baer - Regardez le discours de Barack Obama devant l'American-Israel Public Affairs Committee (AIPAC) (1) : il a été clairement inspiré, guidé même, par Israël. Aux États-Unis, vous ne pouvez pas parvenir au pouvoir en défendant une politique étrangère indépendante pour le Moyen-Orient, une politique qui ne soit pas filtrée par l'AIPAC. C'est tout simplement impossible ! Il en va de même pour la ligne éditoriale du New York Times et du Washington Post : elle ne peut pas être ouvertement en désaccord avec l'AIPAC. Dès lors, à l'égard de l'Iran, une seule approche est admise, celle qui consiste à considérer ce pays comme une menace pour les États-Unis et ses alliés - comme s'il s'agissait de l'histoire sainte, une histoire sainte profane. Hillary Clinton reflète cette ligne. Mme Clinton et d'autres éminents diplomates américains qui prônent une vision très hostile envers l'Iran, tels Martin Indyck ou Dennis Ross, n'ont certes rien à voir avec les néo-conservateurs ; mais ils n'en sont pas moins le produit de ce système où les intérêts d'Israël passent systématiquement au premier plan, ou ont été filtrés par lui. En d'autres termes, la diplomatie américaine ne peut pas prendre dans ses rangs un universitaire issu de l'université de Harvard ou de Chicago qui n'ait pas été adoubé par le lobby pro-israélien. Hillary Clinton arrive au secrétariat d'État avec ce background. Il sera donc très difficile pour Obama de contrer ce lobby et de mener une politique différente.
J.-P. P. - Vous prévoyez donc que, sur le dossier iranien, les États-Unis maintiendront une position ferme et que les propositions d'ouverture que Barack Obama avait évoquées pendant sa campagne (2) resteront lettre morte...
R. B. - D'abord, je ne vois pas venir de « grand marchandage » entre Téhéran et Washington. S'il y a des discussions avec Téhéran - qu'elles se tiennent à Genève ou Bagdad -, elles se feront sous le regard d'Hillary Clinton. C'est elle qui défendra cette ligne devant l'establishment de Washington. Je ne pense pas qu'on assistera à un moment semblable à celui qui a vu subitement les États-Unis nouer des relations avec la Chine du temps de Richard Nixon. Non, je ne pense pas que l'on se réveillera un matin en apprenant que Barack Obama est en route pour l'Iran. Si cela devait arriver, je serais diablement surpris !
J.-P. P. - Dès lors, que fera Hillary Clinton vis-à-vis de cet Iran qui n'a nullement l'intention de renoncer à enrichir de l'uranium ni à développer son programme de missiles balistiques, les Shahab-3 ?
R. B. - Le message de Mme Clinton est simple : la question de l'Iran se réduit à celle de son éventuel armement nucléaire. C'est un message facile à …