UN EUROPEEN ATYPIQUE

n° 122 - Hiver 2009

Élu président de la République tchèque en février 2003, Vaclav Klaus est un cas unique parmi les chefs d'État de l'Union européenne. Non seulement il est libéral et se revendique ouvertement comme tel - ce qui, par les temps qui courent, n'est plus très à la mode - mais, surtout, il est le seul à exprimer publiquement, et de manière répétée, son désaccord avec la façon dont évoluent les institutions politiques de l'UE. Vaclav Klaus était opposé au projet de Constitution européenne rejeté par le double non français et hollandais. Aujourd'hui encore, alors même que son pays vient de prendre en charge la présidence du Conseil de l'Union européenne pour six mois, il n'hésite pas à se présenter en adversaire résolu du traité de Lisbonne, version allégée et révisée du défunt projet de Constitution. Une situation inédite et paradoxale qui fait de Vaclav Klaus la cible privilégiée de tous ceux qui, à Bruxelles, et notamment au Parlement européen, n'imaginent l'avenir que dans une conception fédérale de l'Europe, sans autre voie possible.La presse européenne le décrit comme un « eurosceptique », voire un « europhobe ». Elle dénonce son arrogance, son attachement dogmatique à l'économie de marché et - comble de tous les crimes - son hostilité sans réserve aux mouvements environnementalistes qui, dit-il, propagent une idéologie fondamentalement contraire aux idées de démocratie et de liberté. Mais qui est-il vraiment ? Quelle est sa véritable vision de l'Europe ?
C'est pour en savoir davantage que nous sommes allés l'interviewer dans son vaste bureau du château de Prague, demeure traditionnelle des chefs d'État tchèques. Sa réponse est claire. Elle tient dans un néologisme : la dénonciation de la dérive « supranationaliste » de ceux qu'il considère comme des fanatiques de l'Europe. À ses yeux, le militantisme « supranationaliste » ne vaut pas mieux que les formes les plus communes de « nationalisme ». Il s'agit d'une même attitude à caractère idéologique dont l'expression, en s'appuyant sur des conceptions erronées de la politique et de la démocratie, ne peut que conduire au déclin de la liberté.
À ce titre, Vaclav Klaus - ami personnel de Milton Friedman et membre de la Société du Mont-Pèlerin - n'est pas seulement un économiste libéral formé à l'école reaganienne ou thatchérienne. Plus fondamentalement, sa pensée s'enracine dans les valeurs d'une vision philosophique libérale classique, à la Hayek ou à la Popper, qui soumet la politique au règne du droit, et pour laquelle la pratique de la démocratie ne saurait se réduire au seul primat d'une volonté majoritaire.
C'est dans ce contexte qu'il faut apprécier et interpréter ses déclarations et ses prises de position, littéralement incompréhensibles pour des milieux européens qui viennent d'autres horizons intellectuels. Sans prendre parti, il est clair que cette divergence philosophique est, en définitive, la source de la méfiance qu'inspire le président Vaclav Klaus - véritable OVNI de la politique européenne - à Bruxelles et dans la plupart des capitales de l'Union.
H. L. Henri Lepage - Monsieur le Président, la République tchèque, qui assume la présidence de l'Union européenne depuis le 1er janvier dernier, s'est donné pour devise : « une Europe sans barrières. » Quel sens faut-il accorder à cette formule ?
Vaclav Klaus - Ce slogan a été conçu par le gouvernement tchèque, pas par moi. Cela dit, je l'endosse car il correspond parfaitement à ma conception de l'intégration européenne : il faut se débarrasser de toutes les barrières qui ne sont pas indispensables. Je suis heureux de constater que le gouvernement tchèque partage ce point de vue. Ce qui est clair, c'est que, d'une façon générale, nous ne sommes pas favorables à une centralisation européenne ou à de grands projets qui concerneraient l'ensemble du continent.
H. L. - Quelle est la plus importante de ces « barrières » ?
V. K. - D'une certaine manière, ce slogan n'est pas très révolutionnaire, mais il diffère des autres. Les présidences précédentes se fixaient plutôt des objectifs comme « une Europe toujours plus étroite » ou « une Europe toujours plus solidaire ». Donc notre slogan est assez rationnel.
H. L. - Faisons un bond dans le temps et plaçons-nous en juillet 2009. À quoi jugera-t-on que la présidence tchèque est un succès ? Ou bien, à l'inverse, quelle pourrait être votre plus grande frustration ?
V. K. - Je ne fonde pas de grands espoirs sur cette présidence tchèque. Je ne considère pas la présidence de l'Union européenne, lorsqu'elle est exercée par un petit pays, comme un événement fondamental. Cette idée d'une présidence tournante ressemble plus à un jeu de rôle qui permet de mimer la démocratie qu'à une institution vraiment sérieuse. Nous ne nourrissons pas de grandes ambitions. Pour la bonne raison que nous n'avons pas la moindre chance de changer quoi que ce soit en Europe.
H. L. - Comment jugez-vous les résultats de la présidence française ? Peut-on parler de réussite ?
V. K. - Ce fut certainement un succès personnel pourM. Sarkozy, mais je ne sais pas si cela en est vraiment un pour l'Europe. Nous avons des idées très différentes sur ce qui est bon pour l'Europe et sur ce qui est mauvais. Il a sans doute fait progresser l'Union européenne vers plus d'unification, plus de centralisation. À mes yeux, ce n'est pas nécessairement un point positif.
H. L. - Vous êtes contre le traité de Lisbonne. Pourquoi ? Quelles sont les dispositions qui vous gênent le plus ?
V. K. - Il me faudrait y consacrer tout un article ! Ma principale critique, c'est qu'il représente un pas de géant vers la création d'un État supranational en Europe. On peut reprendre tous les paragraphes les uns après les autres pour le démontrer. Fondamentalement, le traité marque un glissement de l' « intergouvernementalisme » vers le « supranationalisme ». C'est très précisément ce à quoi je m'oppose.
H. L. - Vous lui reprochez d'avancer vers la création d'un État fédéral...
V. K. - Utilisez ce terme si …