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ISRAEL: LA GUERRE AVANT LA PAIX?

Quarante-cinq ans se sont écoulés depuis le premier vol de Herzle Bodinger aux commandes d'un avion militaire israélien. Quarante-cinq années au cours desquelles la région a connu plusieurs conflits armés, d'innombrables attentats, des opérations militaires à répétition et des processus de paix inachevés. Pourtant, l'ancien commandant en chef des forces aériennes israéliennes, vétéran de la plupart des guerres que le pays a connues - il a été sous les drapeaux de 1961 à 1996 -, croit toujours à un avenir de paix pour le Proche-Orient. On aurait tort, cependant, de voir en lui un optimiste béat. Le général estime même que l'État hébreu doit se préparer à livrer, d'ici quelques années, une nouvelle guerre « armée contre armée ». Depuis des années, on le sait, Tsahal se bat surtout contre des groupes armés non étatiques : ce fut encore le cas au Liban en 2006 ou à Gaza début 2009. Mais, selon Herzle Bodinger, qui dirige à présent une entreprise spécialisée dans la technologie aéronautique, les « guerres asymétriques » ne se sont pas substituées définitivement aux affrontements entre États. Les voisins d'Israël, explique-t-il, sont encore tout à fait capables de déclencher un nouveau conflit à grande échelle... A. M. Aude Marcovitch - Général Bodinger, vous avez passé trente-cinq ans dans l'armée israélienne. En quoi cette longue expérience vous permet-elle d'analyser la situation actuelle ?
Herzle Bodinger - J'ai rejoint l'armée en 1961, à l'âge de dix-huit ans, et je l'ai quittée en 1996. La plupart des événements militaires significatifs du pays, hormis la guerre d'indépendance, se sont déroulés durant cette période. J'ai obtenu le grade de pilote en 1963. À cette époque, Tsahal était régulièrement impliquée dans des accrochages sérieux avec les Syriens. Damas voulait s'emparer des sources du Jourdain afin de tarir les ressources hydrauliques d'Israël. Leurs soldats tiraient continuellement dans notre direction. Nos chars leur répondaient. L'aviation n'était pas engagée : notre gouvernement considérait que faire intervenir les avions était déjà un signe d'entrée en guerre.
Les Syriens tiraient au moins une fois par semaine depuis les hauteurs du Golan sur les kibboutz qui se trouvaient en contrebas. Les enfants israéliens de la région grandissaient dans des abris. Ils ne dormaient pratiquement jamais dans leur lit. Leur quotidien était très similaire à ce que connaissent aujourd'hui les enfants de Kyriat Shmona ou de Nahariyah (deux villes du nord d'Israël, qui subissent les tirs du Hezbollah depuis le Liban) ou ceux de Sderot (dans le Sud, visée par les tirs du Hamas depuis Gaza). Les habitants des kibboutz situés près du Golan n'ont qu'une crainte : subir de nouveau la situation des années 1960 si Israël décidait de restituer le Golan aux Syriens. La possession de l'eau est l'un des problèmes centraux du conflit autour du Golan. En fait, ce problème remonte aux temps bibliques ! Il n'a fait que s'accentuer ces dernières années à cause de l'irrégularité des pluies et de certaines saisons particulièrement sèches.
Parallèlement aux problèmes avec la Syrie, on connaissait très peu d'incidents frontaliers de ce type avec l'Égypte et encore moins avec la Jordanie.
A. M. - Comment l'expliquez-vous ?
H. B. - Les problèmes en provenance de ces pays étaient plutôt dus aux fedayins, c'est-à-dire à des groupes de terroristes. Les armées nationales n'étaient pas impliquées. Mais en 1967, la Jordanie, la Syrie et l'Égypte se sont unies pour former une coalition qui a mis en péril l'existence même de notre État. L'année précédente, Israël avait vécu une grave crise économique, si bien que beaucoup de gens quittaient le pays. Une blague circulait alors : que le dernier à partir n'oublie pas d'éteindre la lumière à l'aéroport Ben Gourion ! Les gens avaient très peur. Nous faisions face à trois États dont au moins deux, la Syrie et l'Égypte, avaient été surarmés par l'URSS. Pour la première fois depuis 1948, les gens n'excluaient pas une disparition pure et simple du pays.
A. M. - Cette crainte de voir le pays disparaître existe-t-elle encore aujourd'hui ?
H. B. - Non, au contraire. Aujourd'hui on estime qu'il y a des problèmes, mais qu'ils sont solubles. Pour ma part, je pense que, grâce aux accords que nous avons conclus avec plusieurs pays de la région, …