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L'EXCEPTION MOLDAVE

Au moment où Vladimir Voronine recevait Politique Internationale pour dresser le bilan de ses deux mandats passés à la tête du pays le plus pauvre d'Europe, il était loin de se douter que les élections du 5 avril allaient susciter des émeutes d'une ampleur inhabituelle. Nous n'avons, évidemment, rien changé aux propos qu'il nous a tenus et qui n'en sont que plus éclairants, quelle que soit l'issue des événements récents.En effet, ce scrutin législatif a montré l'extrême fragilité de la démocratie moldave. Dès l'annonce des résultats donnant le Parti des communistes de la République de Moldavie (PCRM) - au pouvoir depuis huit ans - vainqueur avec près de 50 % des voix, des milliers de lycéens, étudiants et jeunes actifs sont descendus dans les rues de Chisinau pour protester.
Bien que l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ait salué des élections « dans l'ensemble conformes aux normes internationales », ce coup de colère de la jeunesse moldave visait à dénoncer des fraudes massives, réclamer de nouvelles élections et exprimer, plus largement, un ras-le-bol de la pauvreté.
Au plus fort de la contestation, les bureaux de la présidence et du Parlement ont été mis à sac et de violents heurts ont eu lieu entre manifestants et forces de l'ordre. Des violences rapidement réprimées par les autorités communistes qui ont procédé à des centaines d'arrestations et versé dans l'intimidation à grande échelle pour étouffer le mouvement.
Le nouveau Parlement devra désigner, d'ici au 8 juin, le successeur de l'actuel président. Seul dirigeant communiste d'Europe avec le Chypriote Dimitris Christofias, Vladimir Voronine ne peut pas briguer un troisième mandat. La Constitution l'en empêche. Pourtant, à 68 ans, cet ancien boulanger entend tirer encore longtemps les ficelles de la vie politique moldave, certains analystes estimant qu'il pourrait, à la manière de Vladimir Poutine, occuper une autre fonction éminente...
Située entre la Roumanie et l'Ukraine, la République de Moldavie fait rarement parler d'elle. À peine plus vaste que la Normandie, ce pays latin et francophile, rongé par un demi-siècle de soviétisme, est pourtant devenu, en 2007, un voisin direct de l'Union européenne (UE).
Élites corrompues, dette extérieure colossale, émigration massive de ses forces vives : le pays, qui était le principal fournisseur de vin, de fruits et de légumes de l'Union soviétique, est aujourd'hui plongé dans l'extrême pauvreté. Les deux tiers de la population vivent avec moins de un dollar par jour.
Depuis son indépendance en août 1991, la Moldavie, où cohabitent Russes et Roumains dans des proportions équivalentes, est en conflit ouvert avec la Transnistrie. Cette petite bande de terre (4 163 kilomètres carrés et 555 500 habitants), essentiellement peuplée de Slaves et où les Moldaves ethniques sont minoritaires, a autoproclamé son indépendance il y a dix-huit ans, en réaction aux puissants courants intellectuels et politiques qui réclamaient le rattachement de l'ensemble du pays à la Roumanie voisine. Le détonateur fut la décision des autorités de Chisinau d'imposer le roumain comme langue commune à l'ensemble de la Moldavie. Or les Russes et les Ukrainiens peuplant la Transnistrie ne parlaient que leurs langues respectives.
Reconnue par aucun État au monde -, pas même par la Russie qui lui apporte pourtant un soutien économique vital - la Transnistrie constitue une véritable zone de non-droit, à moins de 200 kilomètres des frontières de l'UE. Du fait de son statut juridique flou, elle est devenue une plaque tournante pour la contrebande et les trafics en tout genre (alcool, cigarettes, uranium, etc.), dont le développement est encouragé par les autorités locales.
La Transnistrie abrite également des stocks d'armes colossaux, que les Soviétiques avaient constitués dans les années 1950 en prévision d'une guerre dans la région de la mer Noire, et qui alimentent aujourd'hui de nombreuses zones de conflit à travers le monde.
À ce jour, aucune médiation internationale n'est parvenue à résoudre le différend qui oppose Chisinau aux autorités sécessionnistes de Tiraspol. Acteur clé dans les négociations, Moscou entretient le statu quo afin de garder un pied dans son ancien empire, après les réveils démocratiques de l'Ukraine et de la Géorgie.
Élus en 2001 sur un programme pro-russe, les communistes moldaves ont opéré, en 2005, un virage radical en se tournant vers l'UE. Aujourd'hui, 85 % de la population moldave considèrent l'intégration européenne comme un « idéal national ».
Dans cet entretien exclusif, le président Vladimir Nikolaïevitch Voronine tire le bilan de ses huit années au pouvoir, sans minimiser le chemin à parcourir encore avant une éventuelle adhésion à l'Europe...
M. C. Mehdi Chebana - Qu'est-ce qui a changé, en Transnistrie, depuis que vous avez accédé au pouvoir en 2001 ?
Vladimir Voronine - D'un point de vue strictement politique, nos prédécesseurs ont négligé le principe d'intégrité territoriale qui est pourtant inscrit dans la Constitution depuis 1994. Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir en 2001, la population était très divisée sur la question de la Transnistrie, certains ne voyant pas la nécessité de conserver cette région dans le giron moldave. Il nous a donc fallu mener tout un travail de sensibilisation auprès des gens pour qu'ils comprennent que notre pays ne pouvait pas se permettre d'être amputé d'une partie de son territoire. Finalement, nous sommes parvenus à un consensus national à ce sujet. En 2007, le Parlement de Chisinau a voté à l'unanimité - je dis bien à l'unanimité - le projet de loi proposant à la Transnistrie un statut d'autonomie au sein de l'État moldave.
Les choses ont également changé dans d'autres domaines. Par exemple, nous avons contraint les autorités séparatistes à lutter contre le blanchiment d'argent, la contrebande, le trafic d'armes, de drogue et de marchandises... Pour la première fois, nous avons proposé que l'Union européenne mette en place des contrôles à la frontière entre la Moldavie et l'Ukraine sur le territoire transnistrien (1). Avant 2001, treize entreprises basées en Transnistrie importaient des armes pour alimenter les zones de conflit du monde entier. Nous avons mis un terme à ce trafic.
Par ailleurs, nous avons tendu la main aux habitants de Transnistrie, sans aucune restriction. Nous avons délivré plus de 340 000 passeports moldaves pour les résidents du territoire séparatiste. Nous avons également soutenu de nombreux projets humanitaires sur place. 8 000 jeunes originaires de Transnistrie étudient actuellement à Chisinau. Ils ont accès à notre marché du travail et bénéficient des mêmes droits que les citoyens moldaves. Chisinau leur ouvre ses portes.
Sur le plan économique, d'énormes progrès ont également été accomplis. En janvier 2009, 505 entreprises transnistriennes ayant développé leur activité en Moldavie étaient enregistrées dans nos Chambres de commerce. Il n'y en avait aucune en janvier 2001 ! Chacun y trouve son compte : nous pouvons contrôler ce qu'elles font et elles peuvent commercer librement avec les autres pays de la région.
Malheureusement, cette ouverture économique n'est pas réciproque : la Transnistrie, elle, ne tolère aucune entreprise moldave sur son sol. Les banques, non plus, ne peuvent pas s'installer sur le territoire séparatiste. De plus, les citoyens moldaves paient une taxe pour entrer en Transnistrie, ce qui n'est évidemment pas normal.
M. C. - Fin février, vous avez reçu le ministre russe des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov. Quels enseignements tirez-vous de cette rencontre ? Où en sont les négociations sur le statut de la Transnistrie ?
V. V. - La Transnistrie n'est pas notre unique préoccupation, vous savez ! C'était la première fois qu'un ministre russe des Affaires étrangères se rendait à Chisinau depuis l'indépendance de la Moldavie. Sergeï Lavrov et moi-même en avons profité pour évoquer toutes …