Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'UKRAINE FACE AUX APPETITS RUSSES

Aux yeux des Occidentaux, l'Ukraine peine à s'imposer en tant qu'État souverain. Son élite politique - pourtant issue de la fameuse « révolution orange » qui avait suscité tant d'espoirs en 2004 - apparaît déchirée par des querelles intestines. Cette élite morcelée est-elle néanmoins capable d'assurer au pays une véritable indépendance économique, énergétique et politique ? Peut-elle lui permettre d'échapper définitivement à l'emprise russe ? Quelles leçons les autorités de Kiev ont-elles tirées de la guerre russo-géorgienne de l'été 2008 ? Quelles sont les conséquences de la nouvelle crise gazière qui, l'hiver dernier, a opposé l'Ukraine à son grand voisin (1) ? Peut-elle encore espérer adhérer à l'Otan, voire à l'UE ? L'annexion de la Crimée par la Russie serait-elle à l'ordre du jour ? C'est à toutes ces questions décisives que répond, ici, Grigori Perepelitsa, l'un des plus influents experts militaires et politiques ukrainiens, directeur de l'Institut chargé de former les cadres diplomatiques du pays. Ses commentaires sont d'autant plus éclairants que l'Ukraine est à la veille d'une consultation majeure : l'élection présidentielle d'octobre 2009, qui sera probablement suivie de législatives anticipées. G. A. Galia Ackerman - Le conflit russo-géorgien de l'été dernier a changé la donne dans l'espace post-soviétique. Il apparaît désormais que les frontières des États issus de l'URSS peuvent être modifiées par la force ! Après l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie, qui ont été arrachées à la Géorgie, la Crimée - une région appartenant à l'Ukraine mais majoritairement peuplée de Russes - serait-elle la prochaine cible du Kremlin ?
Grigori Perepelitsa - Je ne peux l'exclure. L'Ukraine et la Géorgie occupent toutes deux une place stratégique. L'Ukraine a une position clé en Europe de l'Est tandis que la Géorgie est située au coeur du Caucase. La Géorgie sépare la Russie de son plus proche allié caucasien : l'Arménie. C'est en passant par le territoire géorgien que la Russie peut s'ouvrir sur l'Iran, sur la Turquie et sur tout le Proche-Orient. Dans le même temps, la Géorgie se trouve au centre du couloir qui relie l'Occident aux pays d'Asie centrale. Ce couloir est fondamental pour la pénétration économique et géopolitique de l'UE et des États-Unis en Asie, mais aussi pour la présence militaire de la coalition en Afghanistan. Dès lors, si la Russie veut maîtriser la région du Caucase, il lui faut absolument briser le régime pro-occidental de Tbilissi et priver la Géorgie de la possibilité de conduire une politique étrangère indépendante. C'était cela, l'objectif principal de la guerre russo-géorgienne !
Mais une Géorgie pro-occidentale n'est qu'un obstacle parmi d'autres pour la Russie. Celle-ci rêve, en effet, de rétablir des frontières qui engloberaient l'ensemble des pays de la CEI. Un tel scénario représenterait un retour aux frontières de l'URSS, à l'exception des pays baltes - même si, dans la doctrine géopolitique russe, ces pays demeurent, eux aussi, des contrées à récupérer. Il n'est donc pas impossible que le scénario géorgien serve de ballon d'essai pour une future intervention russe en Ukraine.
G. A. - Pourquoi l'Ukraine obsède-t-elle tellement la Russie ?
G. P. - Zbignew Brzezinski a dit un jour que, sans l'Ukraine, la Russie ne pourrait jamais renaître en tant qu'empire. Ce propos a un sens profond. L'Ukraine est, objectivement, le principal adversaire de Moscou dans l'espace post-soviétique. Pour une raison simple : le Kremlin et nous-mêmes construisons deux modèles d'États opposés. La Russie voit sa renaissance dans la restauration de son empire ; l'Ukraine voit la sienne dans le développement de sa démocratie. Ce sont deux conceptions irréconciliables. En effet, l'ambition impériale de Moscou prévoit l'expansion de la Russie ; et l'Ukraine représente un obstacle de taille à cette expansion. Vladimir Poutine a dit à plusieurs reprises : « L'Ukraine n'est pas un État. C'est notre ancien territoire. » La direction russe considère l'Ukraine comme sa terre perdue, alors que Kiev a toujours souhaité entretenir avec Moscou des relations politiques et économiques d'égal à égal. Une chose est sûre : l'Ukraine ne renoncera jamais à sa souveraineté.
La phrase de Brzezinski fait également allusion à un problème d'ordre symbolique. La Russie lie ses racines historiques à Kiev, à la Rus …