Les trois années suivantes, au cours desquelles les troupes russes se retirent de Tchétchénie, sont tendues. En 1997, Aslan Maskhadov est élu au suffrage universel président de la petite République. Mais celle-ci est sortie exsangue de la guerre. L'islam wahhabite monte en puissance, et le modéré Maskhadov peine à s'opposer à l'essor de cette tendance extrémiste. Akhmad Kadyrov, lui aussi, voit d'un mauvais oeil la progression de cet islam radical, qu'il considère étranger aux coutumes locales.
En août 1999, un détachement de combattants tchétchènes islamistes, que conduisent le chef de guerre Chamil Bassaev et le mercenaire saoudien Khattab, effectue une razzia dans la république voisine du Daghestan. Objectif officiel : instaurer un califat dans tout le Caucase. Les Russes répliquent à l'attaque contre le Daghestan en envoyant à nouveau l'armée en Tchétchénie. Le président et le grand mufti réagissent alors de manières très diverses. Kadyrov condamne l'opération insensée de Bassaev et de Khattab, et déclare qu'il refuse de livrer une nouvelle guerre aux Russes. De son côté, Aslan Maskhadov fait le choix inverse : bien qu'il n'ait guère de sympathie pour les fondamentalistes, il décide de mobiliser toutes les ressources possibles pour faire face aux armées du Kremlin. Et comme Kadyrov persiste dans son opposition, Maskhadov le démet de sa charge de grand mufti. Outré, Kadyrov se rallie alors aux forces fédérales. Il jouera un rôle prépondérant dans la prise par les Russes, sans effusion de sang, de nombreuses agglomérations du district de Goudermes. Quant à Maskhadov, il est officiellement destitué par le gouvernement de Moscou le 1er octobre 1999 et devient l'une des cibles prioritaires de l'armée russe. Il sera finalement abattu en mars 2005.
En juin 2000, alors que les armées fédérales contrôlent l'essentiel du territoire tchétchène, Akhmad Kadyrov est nommé chef de l'administration de la République avec la bénédiction du Kremlin. Le 23 mars 2003, il organise un référendum (largement dénoncé par les observateurs indépendants) qui réaffirme l'appartenance de la Tchétchénie à la Fédération de Russie. Il est officiellement élu président (à l'issue d'un scrutin tout aussi controversé) le 5 octobre 2003. Ramzan, qui a déjà une certaine expérience en la matière, est officiellement chargé de sa sécurité. Mais le 9 mai 2004, pendant une cérémonie organisée au stade de Grozny en mémoire de l'armistice de 1945, un attentat à la bombe coûte la vie au président. Chamil Bassaev revendiquera l'opération deux ans plus tard...
Après la mort de son père, Ramzan prend du galon. Il devient vice-premier ministre de Tchétchénie et prend la tête d'une milice armée forte de plusieurs milliers d'hommes, composée principalement d'anciens rebelles fidèles à son défunt père. On les appellera rapidement les « kadyrovsty » (les hommes de Kadyrov). Ceux-ci livreront une guerre sans merci à ce qui reste de la rébellion. Leur chef est alors le numéro 3 de la république, derrière le terne président Alou Alkhanov et le premier ministre Sergueï Abramov. Mais, dans les faits, il est déjà l'« homme fort » de la Tchétchénie, grâce à son omniprésente milice. En 2005, Abramov démissionne de ses fonctions à la suite d'un grave accident de voiture. Kadyrov lui succède tout naturellement. La suite est tracée : le 1er mars 2007, après la démission du président Alkhanov, Vladimir Poutine propose la candidature de Ramzan au poste de président de la République tchétchène. Le lendemain, le Parlement de la République le désigne officiellement à ce poste.
Adulé par ses partisans qui voient en lui un héros et le grand artisan de la renaissance de la Tchétchénie, il est considéré par ses adversaires comme un petit dictateur aux méthodes expéditives. On lui reproche, entre autres, de ne pas être étranger au meurtre de la journaliste russe Anna Politkovskaïa (qui était l'un de ses détracteurs les plus féroces) et d'avoir ordonné l'élimination d'un certain nombre de ses anciens compagnons avec lesquels il était en désaccord. Ces accusations ne le troublent pas. Persuadé d'agir pour le bien de la Tchétchénie et celui de la Fédération de Russie, certain de bénéficier aussi bien du soutien d'Allah que de celui de Vladimir Poutine et de Dmitri Medvedev, le patron de la Tchétchénie appelle désormais la communauté internationale à se rendre dans la république pour juger sur pièces... et pour y investir.
N. O. Nathalie Ouvaroff - Voilà déjà deux ans que vous exercez les fonctions de président de la république de Tchétchénie. Quelles ont été les priorités de votre action et quelles sont-elles aujourd'hui ?
Ramzan Kadyrov - Depuis mon arrivée à la présidence de la République, je me suis consacré au bien-être et à la prospérité de la population. J'ai une énorme responsabilité devant Dieu, devant les autorités fédérales et devant la mémoire de ceux qui sont tombés pour la paix et la tranquillité de la terre tchétchène. Nous avons tous une dette envers ceux qui ont donné leur vie au nom de l'avenir radieux de leur patrie. Nous en avons également une envers nous-mêmes, pour toutes ces années perdues dans le chaos d'une guerre fratricide. À présent, le peuple reconstruit son pays dans un élan unanime. Travailler à cette reconstruction : telle est ma priorité.
N. O. - À l'heure actuelle, la république est-elle complètement pacifiée ?
R. K. - Je veux d'abord rappeler que nous avons payé le prix fort pour la paix dont nous jouissons actuellement. Je peux dire, sans exagérer, que notre peuple était à deux doigts de disparaître. Plusieurs centaines de milliers de personnes ont été tuées au cours des deux guerres. En quinze ans, le pays a perdu un quart de sa population. Rendez-vous compte : il n'y a pas un foyer dans notre république qui n'ait eu à déplorer la perte d'un frère, d'un père, d'une épouse ou d'un enfant tombés dans les combats ou sauvagement assassinés par les bandits.
Les Tchétchènes ont décidé eux-mêmes de leur avenir, au cours d'un référendum national. Ce choix leur a coûté très cher et je peux vous assurer que je ne laisserai personne manipuler les masses ni jouer avec la destinée de la population. Les gens ont compris que la paix et le travail sont beaucoup plus productifs que la guerre. Désormais, nous allons montrer au monde que nous savons construire et nous développer. Croyez-moi, nous sommes en paix, et pour longtemps !
N. O. - Quelles sont les mesures que vous avez prises pour sauvegarder la paix et la stabilité dans la république ?
R. K. - Je peux vous dire sans l'ombre d'une hésitation que la Tchétchénie est la région la plus sûre de tout le Caucase du Nord. Notre peuple veut mener une vie calme et paisible. Aujourd'hui, dans notre république, il n'y a pratiquement pas d'acte terroriste et le nombre de crimes de sang est infime. Comment y sommes-nous parvenus ? Eh bien, tout simplement en faisant en sorte que les différentes forces de maintien de l'ordre travaillent en étroite collaboration et qu'elles résolvent ensemble les questions de sécurité. Il est indéniable que cette collaboration a porté ses fruits.
N. O. - Combien reste-t-il de rebelles ? Constituent-ils encore une menace pour la stabilité de la Tchétchénie?
R. K. - Je ne peux pas vous dire exactement quel est leur nombre. En revanche, je peux vous certifier qu'ils ne représentent absolument rien. Ils n'ont …