Ramzan Akhmadovitch Kadyrov, le président de la république de Tchétchénie (qui est, faut-il le rappeler, l'un des 89 sujets de la Fédération de Russie), n'accorde qu'exceptionnellement des entretiens à la presse étrangère. Il est vrai que celle-ci, tout comme les organisations de défense des droits de l'homme, ne l'épargne guère. Ce grand gaillard de 33 ans, à la barbe rousse et à la chevelure en bataille, est souvent présenté comme un chef de clan à la fois velléitaire et violent ; on l'accuse d'être le metteur en scène de son propre culte de la personnalité ; fils de l'ex-président de la Tchétchénie, il ne devrait qu'à son nom de famille d'avoir été propulsé, très jeune, à un niveau de responsabilité qui dépasse largement ses capacités ; il serait le pantin du Kremlin ; quant à sa gestion des affaires de la petite république, elle se réduirait à une prédation permanente et à l'élimination impitoyable de tous ceux qui osent s'opposer à lui. Il faut cependant admettre que Ramzan connaît ses dossiers et qu'il poursuit avec opiniâtreté les objectifs qu'il se fixe. Mieux : tous les observateurs qui se sont rendus récemment en Tchétchénie ont constaté que, après des années de guerre, la république était actuellement en plein essor... Rien ne prédestinait Ramzan Kadyrov à occuper un jour un poste aussi élevé. Né le 5 octobre 1976 dans le village de Tsenteroï, situé dans le district de Goudermes, à une cinquantaine de kilomètres de Grozny, il se destine d'abord au sport et, spécialement, à la boxe. Mais avec le déclenchement de la première guerre de Tchétchénie (1994-1996), il se retrouve rapidement le fusil à la main. Son père, Akhmad Kadyrov, est en effet l'un des dignitaires religieux les plus importants de la république. Grand mufti de Tchétchénie par intérim à partir de septembre 1994, il apporte son soutien au gouvernement indépendantiste du premier président tchétchène, Djokhar Doudaev ; devenu grand mufti titulaire en 1995, il prône le djihad contre les troupes russes. De 18 à 20 ans, Ramzan participe à la lutte contre les forces fédérales, à la tête d'une milice composée d'adolescents de son âge. La guerre prend fin le 31 août 1996, suite aux accords de Khassaviourt signés par le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Alexandre Lebed, et le chef d'état-major tchétchène Aslan Maskhadov.
Les trois années suivantes, au cours desquelles les troupes russes se retirent de Tchétchénie, sont tendues. En 1997, Aslan Maskhadov est élu au suffrage universel président de la petite République. Mais celle-ci est sortie exsangue de la guerre. L'islam wahhabite monte en puissance, et le modéré Maskhadov peine à s'opposer à l'essor de cette tendance extrémiste. Akhmad Kadyrov, lui aussi, voit d'un mauvais oeil la progression de cet islam radical, qu'il considère étranger aux coutumes locales.
En août 1999, un détachement de combattants tchétchènes islamistes, que conduisent le chef de guerre Chamil Bassaev et le mercenaire saoudien Khattab, effectue une razzia dans la république voisine du Daghestan. Objectif officiel : instaurer un califat dans tout le Caucase. Les Russes répliquent à l'attaque contre le Daghestan en envoyant à nouveau l'armée en Tchétchénie. Le président et le grand mufti réagissent alors de manières très diverses. Kadyrov condamne l'opération insensée de Bassaev et de Khattab, et déclare qu'il refuse de livrer une nouvelle guerre aux Russes. De son côté, Aslan Maskhadov fait le choix inverse : bien qu'il n'ait guère de sympathie pour les fondamentalistes, il décide de mobiliser toutes les ressources possibles pour faire face aux armées du Kremlin. Et comme Kadyrov persiste dans son opposition, Maskhadov le démet de sa charge de grand mufti. Outré, Kadyrov se rallie alors aux forces fédérales. Il jouera un rôle prépondérant dans la prise par les Russes, sans effusion de sang, de nombreuses agglomérations du district de Goudermes. Quant à Maskhadov, il est officiellement destitué par le gouvernement de Moscou le 1er octobre 1999 et devient l'une des cibles prioritaires de l'armée russe. Il sera finalement abattu en mars 2005.
En juin 2000, alors que les armées fédérales contrôlent l'essentiel du territoire tchétchène, Akhmad Kadyrov est nommé chef de l'administration de la République avec la bénédiction du Kremlin. Le 23 mars 2003, il organise un référendum (largement dénoncé par les observateurs indépendants) qui réaffirme l'appartenance de la Tchétchénie à la Fédération de Russie. Il est officiellement élu président (à l'issue d'un scrutin tout aussi controversé) le 5 octobre 2003. Ramzan, qui a déjà une certaine expérience en la matière, est officiellement chargé de sa sécurité. Mais le 9 mai 2004, pendant une cérémonie organisée au stade de Grozny en mémoire de l'armistice de 1945, un attentat à la bombe coûte la vie au président. Chamil Bassaev revendiquera l'opération deux ans plus tard...
Après la mort de son père, Ramzan prend du galon. Il devient vice-premier ministre de Tchétchénie et prend la tête d'une milice armée forte de plusieurs milliers d'hommes, composée principalement d'anciens rebelles fidèles à son défunt père. On les appellera rapidement les « kadyrovsty » (les hommes de Kadyrov). Ceux-ci livreront une guerre sans merci à ce qui reste de la rébellion. Leur chef est alors le numéro 3 de la république, derrière le terne président Alou Alkhanov et le premier ministre Sergueï Abramov. Mais, dans les faits, il est déjà l'« homme fort » de la Tchétchénie, grâce à son omniprésente milice. En 2005, Abramov démissionne de ses fonctions à la suite d'un grave accident de voiture. Kadyrov lui succède tout naturellement. La suite est tracée : le 1er mars 2007, après la démission du président Alkhanov, Vladimir Poutine propose la candidature de Ramzan au poste de président de la République tchétchène. Le lendemain, le Parlement de la République le désigne officiellement à ce poste.
Adulé par ses partisans qui voient en lui un héros et le grand artisan de la renaissance de la Tchétchénie, il est considéré par ses adversaires comme un petit dictateur aux méthodes expéditives. On lui reproche, entre autres, de ne pas être étranger au meurtre de la journaliste russe Anna Politkovskaïa (qui était l'un de ses détracteurs les plus féroces) et d'avoir ordonné l'élimination d'un certain nombre de ses anciens compagnons avec lesquels il était en désaccord. Ces accusations ne le troublent pas. Persuadé d'agir pour le bien de la Tchétchénie et celui de la Fédération de Russie, certain de bénéficier aussi bien du soutien d'Allah que de celui de Vladimir Poutine et de Dmitri Medvedev, le patron de la Tchétchénie appelle désormais la communauté internationale à se rendre dans la république pour juger sur pièces... et pour y investir.
N. O. Nathalie Ouvaroff - Voilà déjà deux ans que vous exercez les fonctions de président de la république de Tchétchénie. Quelles ont été les priorités de votre action et quelles sont-elles aujourd'hui ?
Ramzan Kadyrov - Depuis mon arrivée à la présidence de la République, je me suis consacré au bien-être et à la prospérité de la population. J'ai une énorme responsabilité devant Dieu, devant les autorités fédérales et devant la mémoire de ceux qui sont tombés pour la paix et la tranquillité de la terre tchétchène. Nous avons tous une dette envers ceux qui ont donné leur vie au nom de l'avenir radieux de leur patrie. Nous en avons également une envers nous-mêmes, pour toutes ces années perdues dans le chaos d'une guerre fratricide. À présent, le peuple reconstruit son pays dans un élan unanime. Travailler à cette reconstruction : telle est ma priorité.
N. O. - À l'heure actuelle, la république est-elle complètement pacifiée ?
R. K. - Je veux d'abord rappeler que nous avons payé le prix fort pour la paix dont nous jouissons actuellement. Je peux dire, sans exagérer, que notre peuple était à deux doigts de disparaître. Plusieurs centaines de milliers de personnes ont été tuées au cours des deux guerres. En quinze ans, le pays a perdu un quart de sa population. Rendez-vous compte : il n'y a pas un foyer dans notre république qui n'ait eu à déplorer la perte d'un frère, d'un père, d'une épouse ou d'un enfant tombés dans les combats ou sauvagement assassinés par les bandits.
Les Tchétchènes ont décidé eux-mêmes de leur avenir, au cours d'un référendum national. Ce choix leur a coûté très cher et je peux vous assurer que je ne laisserai personne manipuler les masses ni jouer avec la destinée de la population. Les gens ont compris que la paix et le travail sont beaucoup plus productifs que la guerre. Désormais, nous allons montrer au monde que nous savons construire et nous développer. Croyez-moi, nous sommes en paix, et pour longtemps !
N. O. - Quelles sont les mesures que vous avez prises pour sauvegarder la paix et la stabilité dans la république ?
R. K. - Je peux vous dire sans l'ombre d'une hésitation que la Tchétchénie est la région la plus sûre de tout le Caucase du Nord. Notre peuple veut mener une vie calme et paisible. Aujourd'hui, dans notre république, il n'y a pratiquement pas d'acte terroriste et le nombre de crimes de sang est infime. Comment y sommes-nous parvenus ? Eh bien, tout simplement en faisant en sorte que les différentes forces de maintien de l'ordre travaillent en étroite collaboration et qu'elles résolvent ensemble les questions de sécurité. Il est indéniable que cette collaboration a porté ses fruits.
N. O. - Combien reste-t-il de rebelles ? Constituent-ils encore une menace pour la stabilité de la Tchétchénie?
R. K. - Je ne peux pas vous dire exactement quel est leur nombre. En revanche, je peux vous certifier qu'ils ne représentent absolument rien. Ils n'ont …
Les trois années suivantes, au cours desquelles les troupes russes se retirent de Tchétchénie, sont tendues. En 1997, Aslan Maskhadov est élu au suffrage universel président de la petite République. Mais celle-ci est sortie exsangue de la guerre. L'islam wahhabite monte en puissance, et le modéré Maskhadov peine à s'opposer à l'essor de cette tendance extrémiste. Akhmad Kadyrov, lui aussi, voit d'un mauvais oeil la progression de cet islam radical, qu'il considère étranger aux coutumes locales.
En août 1999, un détachement de combattants tchétchènes islamistes, que conduisent le chef de guerre Chamil Bassaev et le mercenaire saoudien Khattab, effectue une razzia dans la république voisine du Daghestan. Objectif officiel : instaurer un califat dans tout le Caucase. Les Russes répliquent à l'attaque contre le Daghestan en envoyant à nouveau l'armée en Tchétchénie. Le président et le grand mufti réagissent alors de manières très diverses. Kadyrov condamne l'opération insensée de Bassaev et de Khattab, et déclare qu'il refuse de livrer une nouvelle guerre aux Russes. De son côté, Aslan Maskhadov fait le choix inverse : bien qu'il n'ait guère de sympathie pour les fondamentalistes, il décide de mobiliser toutes les ressources possibles pour faire face aux armées du Kremlin. Et comme Kadyrov persiste dans son opposition, Maskhadov le démet de sa charge de grand mufti. Outré, Kadyrov se rallie alors aux forces fédérales. Il jouera un rôle prépondérant dans la prise par les Russes, sans effusion de sang, de nombreuses agglomérations du district de Goudermes. Quant à Maskhadov, il est officiellement destitué par le gouvernement de Moscou le 1er octobre 1999 et devient l'une des cibles prioritaires de l'armée russe. Il sera finalement abattu en mars 2005.
En juin 2000, alors que les armées fédérales contrôlent l'essentiel du territoire tchétchène, Akhmad Kadyrov est nommé chef de l'administration de la République avec la bénédiction du Kremlin. Le 23 mars 2003, il organise un référendum (largement dénoncé par les observateurs indépendants) qui réaffirme l'appartenance de la Tchétchénie à la Fédération de Russie. Il est officiellement élu président (à l'issue d'un scrutin tout aussi controversé) le 5 octobre 2003. Ramzan, qui a déjà une certaine expérience en la matière, est officiellement chargé de sa sécurité. Mais le 9 mai 2004, pendant une cérémonie organisée au stade de Grozny en mémoire de l'armistice de 1945, un attentat à la bombe coûte la vie au président. Chamil Bassaev revendiquera l'opération deux ans plus tard...
Après la mort de son père, Ramzan prend du galon. Il devient vice-premier ministre de Tchétchénie et prend la tête d'une milice armée forte de plusieurs milliers d'hommes, composée principalement d'anciens rebelles fidèles à son défunt père. On les appellera rapidement les « kadyrovsty » (les hommes de Kadyrov). Ceux-ci livreront une guerre sans merci à ce qui reste de la rébellion. Leur chef est alors le numéro 3 de la république, derrière le terne président Alou Alkhanov et le premier ministre Sergueï Abramov. Mais, dans les faits, il est déjà l'« homme fort » de la Tchétchénie, grâce à son omniprésente milice. En 2005, Abramov démissionne de ses fonctions à la suite d'un grave accident de voiture. Kadyrov lui succède tout naturellement. La suite est tracée : le 1er mars 2007, après la démission du président Alkhanov, Vladimir Poutine propose la candidature de Ramzan au poste de président de la République tchétchène. Le lendemain, le Parlement de la République le désigne officiellement à ce poste.
Adulé par ses partisans qui voient en lui un héros et le grand artisan de la renaissance de la Tchétchénie, il est considéré par ses adversaires comme un petit dictateur aux méthodes expéditives. On lui reproche, entre autres, de ne pas être étranger au meurtre de la journaliste russe Anna Politkovskaïa (qui était l'un de ses détracteurs les plus féroces) et d'avoir ordonné l'élimination d'un certain nombre de ses anciens compagnons avec lesquels il était en désaccord. Ces accusations ne le troublent pas. Persuadé d'agir pour le bien de la Tchétchénie et celui de la Fédération de Russie, certain de bénéficier aussi bien du soutien d'Allah que de celui de Vladimir Poutine et de Dmitri Medvedev, le patron de la Tchétchénie appelle désormais la communauté internationale à se rendre dans la république pour juger sur pièces... et pour y investir.
N. O. Nathalie Ouvaroff - Voilà déjà deux ans que vous exercez les fonctions de président de la république de Tchétchénie. Quelles ont été les priorités de votre action et quelles sont-elles aujourd'hui ?
Ramzan Kadyrov - Depuis mon arrivée à la présidence de la République, je me suis consacré au bien-être et à la prospérité de la population. J'ai une énorme responsabilité devant Dieu, devant les autorités fédérales et devant la mémoire de ceux qui sont tombés pour la paix et la tranquillité de la terre tchétchène. Nous avons tous une dette envers ceux qui ont donné leur vie au nom de l'avenir radieux de leur patrie. Nous en avons également une envers nous-mêmes, pour toutes ces années perdues dans le chaos d'une guerre fratricide. À présent, le peuple reconstruit son pays dans un élan unanime. Travailler à cette reconstruction : telle est ma priorité.
N. O. - À l'heure actuelle, la république est-elle complètement pacifiée ?
R. K. - Je veux d'abord rappeler que nous avons payé le prix fort pour la paix dont nous jouissons actuellement. Je peux dire, sans exagérer, que notre peuple était à deux doigts de disparaître. Plusieurs centaines de milliers de personnes ont été tuées au cours des deux guerres. En quinze ans, le pays a perdu un quart de sa population. Rendez-vous compte : il n'y a pas un foyer dans notre république qui n'ait eu à déplorer la perte d'un frère, d'un père, d'une épouse ou d'un enfant tombés dans les combats ou sauvagement assassinés par les bandits.
Les Tchétchènes ont décidé eux-mêmes de leur avenir, au cours d'un référendum national. Ce choix leur a coûté très cher et je peux vous assurer que je ne laisserai personne manipuler les masses ni jouer avec la destinée de la population. Les gens ont compris que la paix et le travail sont beaucoup plus productifs que la guerre. Désormais, nous allons montrer au monde que nous savons construire et nous développer. Croyez-moi, nous sommes en paix, et pour longtemps !
N. O. - Quelles sont les mesures que vous avez prises pour sauvegarder la paix et la stabilité dans la république ?
R. K. - Je peux vous dire sans l'ombre d'une hésitation que la Tchétchénie est la région la plus sûre de tout le Caucase du Nord. Notre peuple veut mener une vie calme et paisible. Aujourd'hui, dans notre république, il n'y a pratiquement pas d'acte terroriste et le nombre de crimes de sang est infime. Comment y sommes-nous parvenus ? Eh bien, tout simplement en faisant en sorte que les différentes forces de maintien de l'ordre travaillent en étroite collaboration et qu'elles résolvent ensemble les questions de sécurité. Il est indéniable que cette collaboration a porté ses fruits.
N. O. - Combien reste-t-il de rebelles ? Constituent-ils encore une menace pour la stabilité de la Tchétchénie?
R. K. - Je ne peux pas vous dire exactement quel est leur nombre. En revanche, je peux vous certifier qu'ils ne représentent absolument rien. Ils n'ont …
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