Les Grands de ce monde s'expriment dans

CRISE MONDIALE: LES GAGNANTS ET LES PERDANTS

Né en 1941, Charles Gave est docteur en économie de l'Université de Chicago, où il fut l'élève et le disciple du professeur Milton Friedman. La rencontre avec le prix Nobel d'économie 1974 déterminera toute sa carrière. Sous sa direction, il consacre sa thèse à l'élaboration d'un mode de calcul de la « masse monétaire mondiale » - un concept qu'il utilisera pendant de longues années comme instrument central de ses analyses et prévisions économiques. Charles Gave est un pur produit de l'école monétariste et libérale moderne, une espèce rare parmi les économistes français.Après avoir débuté comme analyste financier dans une banque d'affaires française, il crée en 1974, à Londres, au coeur de la City, sa propre entreprise de recherche économique : Cecogest. En 1986, il diversifie ses activités vers la gestion et le placement financier. Il est le cofondateur de Cursitor-Eaton Asset Management où, en tant que Chief Investment Officer, il gère un portefeuille de plus de 10 milliards de dollars. En 1995, Cursitor est vendu à Alliance Capital.
En 1999, il fonde, toujours à Londres, en association avec son fils Louis-Vincent (qui vient alors de passer deux ans comme analyste financier dans une banque française installée à Hong Kong) et l'une des vedettes de la presse économique britannique, Anatole Kaletsky, une nouvelle société de recherche et d'analyse économiques : Gavekal Research. Dès cette époque, Charles et Louis-Vincent Gave sont convaincus que l'avenir de la croissance mondiale se joue désormais en Asie. C'est donc là qu'ils doivent être pour tirer pleinement parti de la mondialisation économique et financière et prodiguer à leurs clients les meilleurs conseils. En 2002, Gavekal déménage son siège social à Hong Kong et recentre ses activités sur le continent asiatique. Depuis l'an dernier, le groupe compte un nouveau fleuron, dont le nom est en lui-même tout un programme - Gavekal Dragonomics -, spécialisé dans l'étude de l'économie chinoise.
Charles Gave a tiré de ce parcours professionnel hors normes une riche expérience. Acteur et praticien des marchés, il parcourt chaque année des dizaines de milliers de kilomètres pour rencontrer personnellement ses clients et leur vendre ses services. Mais il n'a jamais perdu le contact avec le monde de la recherche universitaire. À ce titre, il nourrit sur les événements économiques dont il a été le témoin au cours de sa vie, et notamment ceux qui nous affectent aujourd'hui, une vision libérale particulièrement provocante, aux antipodes du genre de pensée et d'analyse qui font quotidiennement les choux gras de nos médias.
Ses propos sur l'euro, ses doutes sur les capacités de l'Europe à rebondir au lendemain de la crise, son langage très direct et sans fioritures - comme le pratiquent les économistes anglo-saxons - heurteront sans doute maintes sensibilités européennes. Mais cette mise en garde peut d'autant moins être traitée à la légère qu'elle émane d'un fin connaisseur des rouages de l'économie et de la finance mondiales qui, tout au long de sa vie, a appuyé sa réflexion intellectuelle sur l'exercice d'une réelle responsabilité personnelle.
H. L. Henri Lepage - Votre métier consiste à scruter en permanence les signaux qu'émettent les marchés afin d'y lire l'avenir de l'économie mondiale. Avez-vous des informations qui donnent à penser que l'on approche enfin de la sortie de crise ?
Charles Gave - Oui, je pense que cette fois-ci on peut être relativement optimiste. Jusqu'en mars dernier, les marchés restaient persuadés qu'aucun remède ne marcherait. L'économie mondiale était prise dans un mouvement irrésistible de liquidation de dettes que rien ne semblait en mesure d'arrêter. Aujourd'hui, c'est différent.
Aux États-Unis, on voit très bien que l'économie est en train de redémarrer, même si beaucoup dépendra de ce que fera la nouvelle administration au cours des semaines et mois qui viennent. En Asie, il n'y a plus aucun doute. En revanche, en ce qui concerne l'Europe, je serais plus nuancé.
H. L. - Quels sont les signaux qui nourrissent cet optimisme - du moins pour les États-Unis ?
C. G. - Ils sont relativement nombreux. Je note d'abord une remontée des indices statistiques de confiance. On constate également un mouvement de retour à la hausse des prix sur certains marchés. Les prix des maisons, en particulier, semblent se stabiliser, voire recommencer à augmenter. Les indicateurs avancés de l'immobilier, comme les cours du bois, sont en forte progression.
Surtout, on enregistre une détente assez prononcée sur les « spreads » de taux d'intérêt - c'est-à-dire la réduction des écarts de taux demandés en fonction de la qualité des emprunteurs. Les cours de la bourse eux-mêmes ont regagné en moyenne 35 % par rapport à leur point le plus bas, ce qui est généralement le signe d'une reprise générale de l'économie.
H. L. - Les risques de déflation monétaire ont-ils disparu ?
C. G. - Pendant plusieurs mois, toutes les actions entreprises par la FED pour ranimer le marché du crédit sont restées sans effet. La base monétaire américaine a explosé de manière spectaculaire Mais comme les établissements bancaires ne se faisaient plus confiance entre eux, la vitesse de circulation de la monnaie s'est effondrée encore plus vite. Aujourd'hui, on assiste à une certaine reprise des opérations de crédit. Autrement dit, le mouvement de déflation est enrayé.
H. L. - Qu'est-ce qui a provoqué le retournement de la bourse ?
C. G. - Sans doute l'abandon de la règle comptable du « mark to market » dans l'évaluation de la valeur des actifs à porter dans les bilans.
H. L. - De quoi s'agit-il ?
C. G. - De l'obligation, instituée en 2004, de réévaluer en permanence la valeur des actifs figurant au bilan d'une entreprise à leur « valeur de marché ». Appliquée aux banques, cette règle a joué un rôle considérable dans l'amplification de la crise financière. C'est elle qui fut notamment responsable du déclenchement des deux épisodes de panique bancaire, en août 2007 et en août 2008.
H. L. - De quelle manière ?
C. G. - Il s'agit d'une règle comptable absurde, dont l'usage par les institutions financières avait d'ailleurs été …