O. G. Olivier Guez - Barack Obama vient de boucler les premiers mois de sa présidence. Comment jugez-vous ses débuts en politique étrangère ?
Richard Haass - On peut déjà entrevoir les grandes lignes de la diplomatie « obamienne » bien que le nouveau président n'ait pas encore affronté de crise diplomatique majeure. Or c'est dans les crises que les présidents s'affirment ou qu'une politique étrangère peut brusquement changer de cap. Notez qu'il lui reste encore 1 000 jours pour imposer son style ! Plus sérieusement, on discerne quelques tendances de fond : il est un partisan du multilatéralisme, de la diplomatie au sens traditionnel du terme ; c'est aussi un pragmatique. D'une certaine manière, la politique étrangère d'Obama renoue avec la grande tradition de la diplomatie américaine : il cherche à atténuer les différends, à trouver des compromis, à réorienter la politique étrangère des autres gouvernements plutôt qu'à transformer leur nature fondamentale. Jusqu'à présent, sa politique étrangère me rappelle celle de George Bush-père.
O. G. - De quelle manière ?
R. H. - Son fils, George W. Bush, se situait dans la lignée de Woodrow Wilson : sa politique étrangère avait pour but et, à la limite, pour « mission » de bouleverser l'ordre politique des autres pays, à la fois pour des raisons morales - la foi en la démocratie - et pour des raisons pratiques. Bush junior croyait que la démocratie produisait de meilleurs citoyens et qu'il était plus facile de s'entendre entre démocrates. La politique étrangère d'Obama, elle, n'est pas fondée sur la promotion de la démocratie. Elle est plus réaliste, comme l'était celle de Bush-père. Elle est légèrement moins ambitieuse, plus en phase avec la situation actuelle des États-Unis (dispersés militairement et affaiblis économiquement) et largement tributaire de la situation géopolitique - plutôt délicate - qu'il a héritée de son prédécesseur.
O. G. - On nage en plein paradoxe. D'un côté, les États-Unis n'ont jamais semblé aussi faibles depuis des décennies ; de l'autre, les attentes qu'ils suscitent et l'aura de leur président n'ont jamais été aussi fortes...
R. H. - Vous forcez un peu le trait ! En réalité, l'Amérique n'a jamais été aussi puissante que certains l'ont cru ou craint, et elle n'est pas aussi touchée par la crise qu'on le suggère aujourd'hui - même si, nul ne peut le nier, elle traverse de sérieuses difficultés. Notre PNB est toujours d'environ 14 billions de dollars et représente encore un quart de la richesse mondiale. Le dollar demeure la monnaie de réserve internationale ; les États-Unis restent le marché vers lequel convergent les biens du monde entier. Bien que notre situation économique se soit dégradée, nos atouts structurels ne se sont pas évanouis d'un coup : la taille de notre économie, le rôle unique du dollar, l'importance du marché américain, notre capacité d'innovation. Ce pays va se reprendre, il va guérir ; j'en ai la certitude. Le plan de relance d'Obama va finir par porter ses fruits, d'ici à la fin de l'année ou au début …