GEORGIE : UN PRESIDENT DANS LA TEMPETE

n° 124 - Été 2009

La Géorgie fait l'objet d'une attention accrue de la communauté internationale depuis la « Révolution des Roses » qui a renversé, fin 2003, le régime corrompu du président Edouard Chevardnadze. Quelques années durant, ce petit pays caucasien de moins de cinq millions d'habitants, désormais dirigé par le jeune leader pro-occidental Mikheïl Saakachvili, a fait figure d'exemple pour tout l'espace post-soviétique en matière de réformes démocratiques et libérales. Une image qui ne pouvait qu'irriter la Russie, dont la direction ne pardonne pas à cette ancienne république d'URSS sa volonté affichée d'intégrer l'Otan...La dispersion musclée de plusieurs manifestations de l'opposition, fin 2007, et surtout la guerre russo-géorgienne en août 2008 ont troublé l'image de la Géorgie à l'étranger. Bien sûr, les chancelleries occidentales ont condamné la reconnaissance par Moscou de l'« indépendance » de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud - deux républiques séparatistes géorgiennes qui, cette fois, paraissent avoir définitivement rompu avec Tbilissi ; mais, dans le même temps, de nombreuses voix ont reproché à M. Saakachvili d'avoir manqué de sang-froid en déclenchant les hostilités en réponse aux provocations des formations armées sud-ossètes et à une concentration de troupes russes à la frontière. Aux yeux de ses détracteurs, en décidant de reprendre par la force le contrôle de l'Ossétie du Sud le chef de l'État géorgien a donné aux Russes le prétexte qu'ils attendaient depuis longtemps pour infliger un châtiment humiliant à leur petite voisine...
À l'intérieur, le pouvoir doit également faire face à une contestation sérieuse. Depuis des mois, l'opposition multiplie les rassemblements en plein coeur de Tbilissi. Les adversaires du président forment une alliance hétéroclite où l'on retrouve, en particulier, plusieurs de ses anciens proches qui se disent déçus par ses méthodes. Et une partie de la population, appauvrie et abasourdie par la guerre contre la Russie, semble également souhaiter le départ du chef de l'État. Ce dernier avait pourtant été facilement réélu en janvier 2008, lors d'un scrutin que les observateurs internationaux ont reconnu comme « démocratique et honnête ». Mais c'était avant le conflit armé d'août 2008...
C'est dans ce contexte pour le moins tendu que Mikheïl Saakachvili nous a accordé cet entretien exclusif, à Batoumi, la capitale de l'Adjarie - une région séparatiste dont il a réussi, en 2004, à reprendre le contrôle sans qu'un seul coup de feu soit tiré. Avec sa verve coutumière, il défend le bilan de ses réformes, s'explique sur ses relations avec la Russie et avec l'Occident, sans oublier de répondre aux critiques de l'opposition. L'homme est peut-être en difficulté, mais une chose est sûre : sa combativité ne l'a pas quitté.
P. I. Galia Ackerman - Monsieur le Président, quel bilan tirez-vous de la guerre qui a opposé votre pays à la Russie en août 2008 ? Qu'est-ce que la Géorgie a perdu par rapport à la situation qui prévalait avant le début des hostilités ?
Mikheïl Saakachvili - Je ne considère pas que nous ayons « perdu » quoi que ce soit. La France avait-elle « perdu » quelque chose lors de l'occupation allemande, pendant la Seconde Guerre mondiale ? Il est vrai que, depuis août 2008, la Russie occupe 20 % de notre territoire ; mais, croyez-moi, il s'agit d'un phénomène temporaire. De toute façon, avant le conflit, Moscou contrôlait déjà une grande partie de ces zones sous le prétexte d'y déployer des « forces de maintien de la paix » (1) !
À présent, les masques sont tombés. Chacun a pu se rendre compte que la Russie se conduit comme un occupant pur et simple. Or l'époque où un État pouvait occuper le territoire de son voisin à sa guise est terminée. Au XXIe siècle, il n'est pas très confortable pour un pays comme la Russie - qui prétend vouloir se moderniser et jouer un rôle de premier plan au sein de la communauté internationale - de se comporter de la sorte ! La situation actuelle est intenable et, à Moscou, on s'en rend parfaitement compte. Mais au lieu d'inciter la direction russe à revenir en arrière, ce constat la rend plus nerveuse et plus agressive, ce qui risque de la pousser à commettre d'autres erreurs...
G. A. - Vous dites que la situation en Ossétie du Sud et en Abkhazie est « temporaire ». Mais, chaque jour, les Russes renforcent leur présence militaire dans les républiques séparatistes et édifient de véritables murailles le long de leurs « frontières ». 95 % des habitants de l'Ossétie du Sud sont déjà en possession de passeports russes, et il en va probablement de même pour la population de l'Abkhazie. Dans cette dernière région, les autorités distribueraient gratuitement des maisons abandonnées par les réfugiés géorgiens à des citoyens russes originaires du Caucase du Nord - et cela, afin de peupler la zone d'habitants qui n'ont aucun lien ethnique ou culturel avec la Géorgie. Bref, on a bel et bien l'impression que les Russes sont en train de prendre racine...
M. S. - Je ne crois pas que ces nouveaux venus puissent se sentir « chez eux » dans ces maisons. Les expropriations qui leur ont permis de s'y installer sont des pratiques totalement illégales et, tôt ou tard, ceux qui les incitent à s'approprier des logements et des biens qui ne leur appartiennent pas seront punis. Je considère également que l'occupation militaire ne contribue nullement au développement de ces régions, alors que leur potentiel est gigantesque - surtout pour ce qui concerne l'Abkhazie (2). La réalité, c'est que les Russes ont privé les habitants locaux de leur avenir, au nom d'objectifs géopolitiques ni très clairs ni très avisés ! Je plains sincèrement ces …

Sommaire

LE DEFI DES NEO-TALIBANS

Entretien avec Ahmed Rashid par Olivier Guez

L'ASIE A L'OMBRE DE LA BOMBE

par André Fontaine

POUTINE-MEDVEDEV : UNE LUTTE INEVITABLE?

par Viatcheslav Avioutskii

MEXIQUE : UN PAYS SOUS INFLUENCES...

par Babette Stern

CHILI : UN MANDAT EXEMPLAIRE ?

Entretien avec Michelle Bachelet par Sophie de Bellemaniere

HONGRIE : CHRONIQUE D'UNE FAILLITE EVITEE

Entretien avec Gordon Bajnai par Luc Rosenzweig

PLAIDOYER POUR UNE EUROPE SOLIDAIRE

Entretien avec Bruno Le Maire par Baudouin Bollaert

LES BALKANS OCCIDENTAUX FACE A LA CRISE MONDIALE

par Jean-Arnault Dérens

ISRAEL : LE MAUVAIS GOUVERNEMENT AU MAUVAIS MOMENT ?

par Frédéric Encel

MACEDOINE : LE NOM DE LA DISCORDE

Entretien avec Nikola Gruevski par Isabelle Lasserre

CRISE MONDIALE: LES GAGNANTS ET LES PERDANTS

Entretien avec Charles Gave par Henri Lepage

AFGHANISTAN-PAKISTAN : UN MEME PERIL

par Jean-Pierre Perrin

POUR UNE « PAIX ECONOMIQUE »

par Benny Cohen

GEORGIE : UN PRESIDENT DANS LA TEMPETE

Entretien avec Mikheïl Saakachvili par Galia Ackerman

CAUCASE DU SUD : LE TEMPS DE L'UNITE ?

par Gaïdz Minassian

OUZBEKISTAN : UNE DICTATURE OUBLIEE

Entretien avec Moutabar Tadjibaeva par Natalia Rutkevich

AU NOM DE TOUS LES OPPRIMES

Entretien avec Taslima Nasreen par Alexandre Del Valle

RUSSIE : PEUT-ON EN FINIR AVEC LA CORRUPTION

Entretien avec Pavel Astakhov par Galia Ackerman

DIPLOMATIE AMERICAINE : LE RETOUR DE LA GRANDE TRADITION

Entretien avec Richard Haas par Olivier Guez

KOSOVO, AN I

Entretien avec Fatmir Sejdiu par Ilda Mara

LES ISLAMISTES ET LA BOMBE PAKISTANAISE

par Bruno Tertrais