La Géorgie fait l'objet d'une attention accrue de la communauté internationale depuis la « Révolution des Roses » qui a renversé, fin 2003, le régime corrompu du président Edouard Chevardnadze. Quelques années durant, ce petit pays caucasien de moins de cinq millions d'habitants, désormais dirigé par le jeune leader pro-occidental Mikheïl Saakachvili, a fait figure d'exemple pour tout l'espace post-soviétique en matière de réformes démocratiques et libérales. Une image qui ne pouvait qu'irriter la Russie, dont la direction ne pardonne pas à cette ancienne république d'URSS sa volonté affichée d'intégrer l'Otan...La dispersion musclée de plusieurs manifestations de l'opposition, fin 2007, et surtout la guerre russo-géorgienne en août 2008 ont troublé l'image de la Géorgie à l'étranger. Bien sûr, les chancelleries occidentales ont condamné la reconnaissance par Moscou de l'« indépendance » de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud - deux républiques séparatistes géorgiennes qui, cette fois, paraissent avoir définitivement rompu avec Tbilissi ; mais, dans le même temps, de nombreuses voix ont reproché à M. Saakachvili d'avoir manqué de sang-froid en déclenchant les hostilités en réponse aux provocations des formations armées sud-ossètes et à une concentration de troupes russes à la frontière. Aux yeux de ses détracteurs, en décidant de reprendre par la force le contrôle de l'Ossétie du Sud le chef de l'État géorgien a donné aux Russes le prétexte qu'ils attendaient depuis longtemps pour infliger un châtiment humiliant à leur petite voisine...
À l'intérieur, le pouvoir doit également faire face à une contestation sérieuse. Depuis des mois, l'opposition multiplie les rassemblements en plein coeur de Tbilissi. Les adversaires du président forment une alliance hétéroclite où l'on retrouve, en particulier, plusieurs de ses anciens proches qui se disent déçus par ses méthodes. Et une partie de la population, appauvrie et abasourdie par la guerre contre la Russie, semble également souhaiter le départ du chef de l'État. Ce dernier avait pourtant été facilement réélu en janvier 2008, lors d'un scrutin que les observateurs internationaux ont reconnu comme « démocratique et honnête ». Mais c'était avant le conflit armé d'août 2008...
C'est dans ce contexte pour le moins tendu que Mikheïl Saakachvili nous a accordé cet entretien exclusif, à Batoumi, la capitale de l'Adjarie - une région séparatiste dont il a réussi, en 2004, à reprendre le contrôle sans qu'un seul coup de feu soit tiré. Avec sa verve coutumière, il défend le bilan de ses réformes, s'explique sur ses relations avec la Russie et avec l'Occident, sans oublier de répondre aux critiques de l'opposition. L'homme est peut-être en difficulté, mais une chose est sûre : sa combativité ne l'a pas quitté.
P. I. Galia Ackerman - Monsieur le Président, quel bilan tirez-vous de la guerre qui a opposé votre pays à la Russie en août 2008 ? Qu'est-ce que la Géorgie a perdu par rapport à la situation qui prévalait avant le début des hostilités ?
Mikheïl Saakachvili - Je ne considère pas que nous ayons « perdu » quoi que ce soit. La France avait-elle « perdu » quelque chose lors de l'occupation allemande, pendant la Seconde Guerre mondiale ? Il est vrai que, depuis août 2008, la Russie occupe 20 % de notre territoire ; mais, croyez-moi, il s'agit d'un phénomène temporaire. De toute façon, avant le conflit, Moscou contrôlait déjà une grande partie de ces zones sous le prétexte d'y déployer des « forces de maintien de la paix » (1) !
À présent, les masques sont tombés. Chacun a pu se rendre compte que la Russie se conduit comme un occupant pur et simple. Or l'époque où un État pouvait occuper le territoire de son voisin à sa guise est terminée. Au XXIe siècle, il n'est pas très confortable pour un pays comme la Russie - qui prétend vouloir se moderniser et jouer un rôle de premier plan au sein de la communauté internationale - de se comporter de la sorte ! La situation actuelle est intenable et, à Moscou, on s'en rend parfaitement compte. Mais au lieu d'inciter la direction russe à revenir en arrière, ce constat la rend plus nerveuse et plus agressive, ce qui risque de la pousser à commettre d'autres erreurs...
G. A. - Vous dites que la situation en Ossétie du Sud et en Abkhazie est « temporaire ». Mais, chaque jour, les Russes renforcent leur présence militaire dans les républiques séparatistes et édifient de véritables murailles le long de leurs « frontières ». 95 % des habitants de l'Ossétie du Sud sont déjà en possession de passeports russes, et il en va probablement de même pour la population de l'Abkhazie. Dans cette dernière région, les autorités distribueraient gratuitement des maisons abandonnées par les réfugiés géorgiens à des citoyens russes originaires du Caucase du Nord - et cela, afin de peupler la zone d'habitants qui n'ont aucun lien ethnique ou culturel avec la Géorgie. Bref, on a bel et bien l'impression que les Russes sont en train de prendre racine...
M. S. - Je ne crois pas que ces nouveaux venus puissent se sentir « chez eux » dans ces maisons. Les expropriations qui leur ont permis de s'y installer sont des pratiques totalement illégales et, tôt ou tard, ceux qui les incitent à s'approprier des logements et des biens qui ne leur appartiennent pas seront punis. Je considère également que l'occupation militaire ne contribue nullement au développement de ces régions, alors que leur potentiel est gigantesque - surtout pour ce qui concerne l'Abkhazie (2). La réalité, c'est que les Russes ont privé les habitants locaux de leur avenir, au nom d'objectifs géopolitiques ni très clairs ni très avisés ! Je plains sincèrement ces …
À l'intérieur, le pouvoir doit également faire face à une contestation sérieuse. Depuis des mois, l'opposition multiplie les rassemblements en plein coeur de Tbilissi. Les adversaires du président forment une alliance hétéroclite où l'on retrouve, en particulier, plusieurs de ses anciens proches qui se disent déçus par ses méthodes. Et une partie de la population, appauvrie et abasourdie par la guerre contre la Russie, semble également souhaiter le départ du chef de l'État. Ce dernier avait pourtant été facilement réélu en janvier 2008, lors d'un scrutin que les observateurs internationaux ont reconnu comme « démocratique et honnête ». Mais c'était avant le conflit armé d'août 2008...
C'est dans ce contexte pour le moins tendu que Mikheïl Saakachvili nous a accordé cet entretien exclusif, à Batoumi, la capitale de l'Adjarie - une région séparatiste dont il a réussi, en 2004, à reprendre le contrôle sans qu'un seul coup de feu soit tiré. Avec sa verve coutumière, il défend le bilan de ses réformes, s'explique sur ses relations avec la Russie et avec l'Occident, sans oublier de répondre aux critiques de l'opposition. L'homme est peut-être en difficulté, mais une chose est sûre : sa combativité ne l'a pas quitté.
P. I. Galia Ackerman - Monsieur le Président, quel bilan tirez-vous de la guerre qui a opposé votre pays à la Russie en août 2008 ? Qu'est-ce que la Géorgie a perdu par rapport à la situation qui prévalait avant le début des hostilités ?
Mikheïl Saakachvili - Je ne considère pas que nous ayons « perdu » quoi que ce soit. La France avait-elle « perdu » quelque chose lors de l'occupation allemande, pendant la Seconde Guerre mondiale ? Il est vrai que, depuis août 2008, la Russie occupe 20 % de notre territoire ; mais, croyez-moi, il s'agit d'un phénomène temporaire. De toute façon, avant le conflit, Moscou contrôlait déjà une grande partie de ces zones sous le prétexte d'y déployer des « forces de maintien de la paix » (1) !
À présent, les masques sont tombés. Chacun a pu se rendre compte que la Russie se conduit comme un occupant pur et simple. Or l'époque où un État pouvait occuper le territoire de son voisin à sa guise est terminée. Au XXIe siècle, il n'est pas très confortable pour un pays comme la Russie - qui prétend vouloir se moderniser et jouer un rôle de premier plan au sein de la communauté internationale - de se comporter de la sorte ! La situation actuelle est intenable et, à Moscou, on s'en rend parfaitement compte. Mais au lieu d'inciter la direction russe à revenir en arrière, ce constat la rend plus nerveuse et plus agressive, ce qui risque de la pousser à commettre d'autres erreurs...
G. A. - Vous dites que la situation en Ossétie du Sud et en Abkhazie est « temporaire ». Mais, chaque jour, les Russes renforcent leur présence militaire dans les républiques séparatistes et édifient de véritables murailles le long de leurs « frontières ». 95 % des habitants de l'Ossétie du Sud sont déjà en possession de passeports russes, et il en va probablement de même pour la population de l'Abkhazie. Dans cette dernière région, les autorités distribueraient gratuitement des maisons abandonnées par les réfugiés géorgiens à des citoyens russes originaires du Caucase du Nord - et cela, afin de peupler la zone d'habitants qui n'ont aucun lien ethnique ou culturel avec la Géorgie. Bref, on a bel et bien l'impression que les Russes sont en train de prendre racine...
M. S. - Je ne crois pas que ces nouveaux venus puissent se sentir « chez eux » dans ces maisons. Les expropriations qui leur ont permis de s'y installer sont des pratiques totalement illégales et, tôt ou tard, ceux qui les incitent à s'approprier des logements et des biens qui ne leur appartiennent pas seront punis. Je considère également que l'occupation militaire ne contribue nullement au développement de ces régions, alors que leur potentiel est gigantesque - surtout pour ce qui concerne l'Abkhazie (2). La réalité, c'est que les Russes ont privé les habitants locaux de leur avenir, au nom d'objectifs géopolitiques ni très clairs ni très avisés ! Je plains sincèrement ces …
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