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LE DEFI DES NEO-TALIBANS

Olivier Guez - Les nouvelles en provenance du Pakistan donnent le vertige. En Occident, on a le sentiment que le pays est au bord du gouffre. Est-ce également votre analyse ?
Ahmed Rashid - Non, je vous rassure, le Pakistan n'est pas sur le point de s'effondrer. Mais il traverse une crise très grave, sans doute la plus sévère depuis la guerre avec l'Inde en 1971 - une guerre qui s'était conclue par la naissance de l'État du Bangladesh. Le pays est confronté à une anarchie grandissante et à une conjoncture économique désastreuse. Les Talibans ont gagné beaucoup de terrain dans le Nord. Quant à la crise humanitaire, qui est la conséquence de l'avancée des Talibans et de la réplique musclée de l'armée, elle s'aggrave de jour en jour. Les combats ont fait plus de deux millions de déplacés. Mais, à côté de cela, le Pakistan possède une armée de un million d'hommes, le gouvernement fonctionne toujours et l'État est encore très puissant. Le problème majeur, c'est que, dans un passé récent, le gouvernement a suivi une ligne politique désastreuse. Il est grand temps que les autorités pakistanaises corrigent le tir.
O. G. - Je suppose que vous faites allusion à la gestion de Moucharraf ?
A. R. - Absolument. Moucharraf a commis de terribles erreurs, et je ne parle pas seulement de son double jeu vis-à-vis des Talibans afghans. Pendant ses neuf années de règne, il n'a rien fait pour favoriser le développement économique du pays. Le Pakistan a reçu des aides considérables et n'a su aucunement en tirer profit. Entre le 11 septembre 2001 et 2007, les États-Unis lui ont versé 11,8 milliards de dollars ! 80 % de cette somme ont été alloués à l'armée. L'état-major les a dépensés en armes sophistiquées (F-16, radars, navires de guerre, sous-marins...), non pas pour améliorer les opérations de contre-insurrection mais uniquement dans la perspective d'une nouvelle guerre avec l'Inde. La société civile et le secteur privé, eux, n'en ont recueilli que des miettes. Rien n'a été investi dans les infrastructures pourtant très délabrées : aucune centrale électrique n'a été construite, pour ne citer qu'un exemple. À Lahore, où je vis, il n'y a que six heures d'électricité par jour et les coupures sont incessantes ; c'est une catastrophe pour l'industrie qui ne peut pas fonctionner dans de telles conditions. Les difficultés n'ont cessé de s'accumuler sous la présidence de Moucharraf, mais celui-ci a préféré faire l'autruche : il n'a pas osé ou n'a pas voulu affronter les problèmes. Au fil des années, il est devenu de plus en plus arrogant, de plus en plus dur et totalement indifférent aux préoccupations de l'opinion publique. Il a concentré tous les pouvoirs entre ses mains. En choyant les militaires comme aucun chef des armées ne l'avait fait avant lui, il s'est assuré le soutien sans faille de l'armée et des services secrets. Mais il n'a pas su faire face à la montée de l'extrémisme. Depuis quelques mois, le monde découvre l'existence des Talibans …