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MACEDOINE : LE NOM DE LA DISCORDE

C'est l'un des seuls États des Balkans qui soit parvenu à traverser les conflits des années 1990 sans trop de soubresauts. Dix-huit ans après son indépendance, en 1991, la Macédoine est pourtant l'une des républiques les plus fragiles de cette région mouvementée, longtemps considérée comme le trou noir de l'Europe. Ce tout petit pays de deux millions d'habitants, si souvent convoité ou dépecé dans le passé, et que l'on considère comme un condensé de l'histoire des Balkans, lutte quotidiennement pour affirmer son existence face à ses puissants voisins.Au début de l'année 2001, l'ancienne république yougoslave, qui avait résisté stoïquement aux guerres de Croatie, de Bosnie et du Kosovo malgré ses antagonismes ethniques (25 % d'Albanais, 70 % de Slaves orthodoxes), faillit vaciller à son tour sous les coups de boutoir d'une guérilla albanaise installée dans le nord-ouest du pays. L'Union européenne, que les précédents drames balkaniques avaient laissée de marbre, réagit cette fois dès le début de la crise et réussit à la juguler. À la fin du mois d'août 2001, les accords d'Ohrid mettent fin à cette mini-guerre. La communauté albanaise se voit reconnaître des droits spécifiques et une représentation au sein de l'État unitaire. C'est le premier succès de la diplomatie européenne dans la région.
Huit ans plus tard, le pays a réalisé d'énormes progrès : les partis politiques albanais participent au gouvernement : la police s'est ouverte à la minorité ; le pourcentage d'Albanais employés dans l'administration est passé de 3 à 17 %. Mais les accords d'Ohrid sont régulièrement contestés : par les Macédoniens, qui les trouvent trop favorables aux Albanais et qui ont bien du mal à se forger une identité nationale ; et par les Albanais, qui s'estiment toujours discriminés par la majorité orthodoxe.
Les deux communautés sont cependant d'accord sur une chose essentielle, un objectif qui, jusque-là, a contribué à préserver l'unité du pays : l'intégration de la Macédoine dans l'Union européenne. En novembre 2005, la Commission de Bruxelles a officiellement soutenu la perspective d'une adhésion de Skopje. Aucune date n'a encore été fixée pour l'ouverture de négociations. Les réformes sont pourtant menées à un rythme soutenu et, avant la crise financière, l'économie progressait de 6 % par an.
Seule ombre au tableau : les efforts de Skopje pour se rapprocher de l'Otan et de l'UE sont systématiquement contrecarrés par la Grèce, qui lui refuse le droit d'utiliser le nom de « Macédoine » - un nom, selon elle, indissolublement lié au patrimoine culturel hellénique. Le conflit dure maintenant depuis dix-huit ans et toutes les négociations ont échoué. Sous les pressions d'Athènes, la Macédoine est entrée à l'ONU en 1995 sous un nom provisoire, ARYM (Ancienne république yougoslave de Macédoine). Elle a dû modifier son drapeau et sa Constitution. Depuis, les relations n'ont fait que se dégrader. La nouvelle appellation de l'aéroport de Skopje, rebaptisé « Alexandre le Grand » par le pouvoir macédonien en 2006, a exaspéré Athènes, qui considère l'ancien roi de Macédoine comme un héros grec.
En avril 2008, lors du sommet de Bucarest, le pouvoir grec a opposé son veto à l'entrée de la Macédoine dans l'Otan. Ce petit État fragile comptait pourtant sur l'Alliance atlantique pour apaiser ses craintes en matière de sécurité. Aujourd'hui, Skopje redoute que la Grèce bloque également son rapprochement avec l'Union européenne...
I. L. Isabelle Lasserre - Monsieur le Premier ministre, la Grèce laissera-t-elle un jour la Macédoine se rapprocher de l'Union européenne et de l'Otan ?
Nikola Gruevski - La Macédoine subit un traitement discriminatoire. Nous avons franchi avec succès toutes les étapes qui devaient nous mener à l'Alliance atlantique. Nous avons effectué les réformes réclamées par Bruxelles pour entrer dans l'Union. Mais, apparemment, c'est encore insuffisant aux yeux d'Athènes, qui a bloqué notre candidature à l'Otan (1). La Grèce va plus loin : elle exige que nous changions de nom. Elle exerce un chantage permanent sur la Macédoine, qui vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Athènes s'est lancée dans une campagne de dénigrement hystérique et affirme que nous sommes une menace potentielle pour l'Union. Mais qui peut croire cela ? Nous sommes deux millions d'habitants et les Grecs dix millions ; ils sont beaucoup plus riches et plus puissants que nous. Et nous représenterions un danger ?
I. L. - Où en sont les négociations avec l'Otan ?
N. G. - Elles sont au point mort. Avant le sommet de Bucarest, de longs pourparlers avaient abouti à une proposition du médiateur de l'ONU : ARYM (2), notre nom provisoire, devait être remplacé par « République de Macédoine-Skopje ». Nous avions donné notre accord et proposé d'organiser un référendum sur le sujet. Mais la Grèce a refusé. De fortes pressions ont alors été exercées par la communauté internationale jusqu'au dernier moment - en vertu de l'accord intérimaire signé en 1995 sous la tutelle de l'ONU (3) - pour convaincre les autorités d'Athènes de laisser la Macédoine adhérer à l'Otan sous son appellation temporaire, en attendant de trouver une solution. Mais les Grecs s'y sont aussi opposés. De retour de Bucarest, le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères grecs ont été accueillis en héros. On pouvait lire sur leurs visages la fierté des vainqueurs. Ils avaient le sentiment d'avoir remporté une victoire non seulement contre nous, mais aussi contre les grandes puissances qui les invitent à plus de modération, notamment les États-Unis. Nous avons alors tenté de renégocier, en espérant qu'après cette démonstration de force ils se calmeraient. Peine perdue : ils ont, au contraire, durci leurs positions.
I. L. - C'est-à-dire ?
N. G. - Ils ont exprimé de nouvelles revendications : ils veulent maintenant choisir eux-mêmes le nouveau nom de la Macédoine ! Ce nom doit, selon eux, être utilisé sur la scène internationale, mais aussi à l'intérieur du pays, ce qui signifie que nous devrons modifier tous les documents officiels, la Constitution, etc. Les Grecs demandent aussi que l'Église orthodoxe de Macédoine (4) s'appelle autrement... En fait, ils veulent nous obliger à changer d'identité. Si l'on se pliait à leurs exigences, la nation et la langue macédoniennes n'existeraient plus ! À Bruxelles, de nombreux représentants européens me disent qu'ils trouvent la situation intenable. Mais au nom du sacro-saint consensus, ils refusent d'ouvrir les hostilités. Nous avons donc décidé de porter plainte devant la Cour internationale …