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RUSSIE : PEUT-ON EN FINIR AVEC LA CORRUPTION

Pavel Astakhov est un personnage passionnant. Né en 1966, il a effectué son service militaire dans les gardes-frontières puis a fait ses études à l'École supérieure du KGB (dont il a été diplômé en 1991). Devenu avocat au barreau de Moscou en 1994, il a défendu des personnalités très diverses comme Edmond Pope, citoyen américain accusé d'espionnage (condamné à vingt ans de réclusion, puis libéré sous la pression de Washington) ; l'oligarque Vladimir Goussinski, au moment de son conflit avec le Kremlin ; la famille du prix Nobel Lev Landau ; le maire de Moscou Iouri Loujkov ; le maestro Vladimir Spivakov ; le président de la Cour des Comptes et ancien premier ministre Sergueï Stepachine, etc. Homme de grand savoir - il a fait ses études doctorales à l'Université de Pittsburgh (2002) -, il est l'auteur de plusieurs ouvrages théoriques. Depuis 2003, il anime sur la chaîne REN TV un talk-show consacré à la justice russe et ses insuffisances.
En 2007, Pavel Astakhov s'est lancé dans une carrière d'écrivain. Il a rapidement publié quatre « romans d'avocat » à gros tirage : Le Raider, Le Maire, L'Espion et Le Producteur. Chacun de ces ouvrages est fondé sur des situations réelles de la Russie d'aujourd'hui. Comme leurs titres l'indiquent, ils explorent, respectivement, la pratique des raids (c'est-à-dire la mainmise sur des entreprises par des moyens illicites) ; les intrigues et les conflits d'intérêts dans les mégapoles ; les affaires d'espionnage industriel ; et l'univers du showbiz.
On aurait tort de croire que l'auteur de ces livres est un contempteur du régime. C'est même tout le contraire. Grand admirateur de Vladimir Poutine, Pavel Astakhov est allé jusqu'à créer, en 2007, un mouvement destiné à convaincre l'homme fort du pays - qui achevait alors son second mandat présidentiel - de modifier la Constitution afin de pouvoir demeurer au Kremlin quatre années supplémentaires.
Notre avocat-écrivain, en effet, exonère les plus hauts dignitaires de l'État de toute implication dans la corruption généralisée qui ronge le pays. S'il est permis de contester ce point de vue quelque peu idéaliste, une chose est sûre : les romans de Pavel Astakhov offrent une plongée unique dans le monde opaque des affaires en Russie.
Dans cet entretien exclusif, l'expert livre des clés indispensables pour comprendre le monde post-communiste... et justifie son admiration pour M. Poutine.
P. I. Galia Ackerman - Grand avocat, vous avez créé un genre inédit en Russie : les « romans d'avocat ». Dans les trois premiers romans, vous dévoilez, chaque fois, tout un pan de la réalité russe. Dans Le Raider, vous racontez l'histoire d'une mainmise hostile sur une entreprise ayant appartenu, à l'époque soviétique, au complexe militaro-industriel. Bien sûr, cette mainmise n'est possible que grâce aux relations des raiders (et de leur commanditaire) avec différents échelons du pouvoir, y compris des personnalités haut placées. À quel point ce roman s'inspire-t-il de faits réels ?
Pavel Astakhov - Lorsque je me suis inscrit au barreau de Moscou, en 1993, plusieurs personnes m'ont demandé si je n'avais pas peur de m'occuper d'affaires politiques. Ces questions m'étonnaient. Naïvement, je croyais que l'avocat se trouvait en dehors du champ politique et qu'il ne s'occupait que de questions relatives au droit ! Mais dans la Russie actuelle, tout est politique. Et le business ne déroge pas à la règle, comme j'allais rapidement m'en apercevoir...
J'ai défendu un certain nombre de victimes de raiders. Dans toutes ces affaires, j'ai toujours été du côté des victimes. Pour une raison simple : je suis convaincu qu'un avocat ne doit pas participer aux attaques des raiders. Il est vrai que tout le monde n'est pas de cet avis et que certains de mes confrères les aident à mener leurs assauts.
Il faut quand même comprendre une chose : cette pratique n'est pas un phénomène isolé qui existerait en tant que tel. Elle se nourrit de la faiblesse de notre système judiciaire. Il est aisé de s'emparer d'une entreprise quand les tribunaux sont faibles, quand les représentants de la justice sont prêts à « s'entendre » avec les raiders contre espèces sonnantes et trébuchantes, quand la corruption règne dans la société. La corruption est, en effet, un véritable bouillon de culture pour ces vautours.
Dans un tel système, au lieu de créer une entreprise et de la développer, vous pouvez simplement vous emparer d'une entreprise florissante en ne déboursant que le prix nécessaire à la rétribution des raiders et de ceux qui les couvrent. Dès que vous mettez les choses en branle, l'entreprise convoitée commence à avoir de gros problèmes : des fonctionnaires véreux du ministère de la Justice ouvriront à son encontre des enquêtes pour toutes sortes d'abus et de violations de la loi, confisqueront toute la documentation, organiseront des contrôles musclés dans ses locaux, etc. Toutes ces actions auront l'air parfaitement légal - alors qu'en réalité il s'agira d'un coup monté.
G. A. - Qu'est-ce qui vous frappe en particulier chez les raiders ?
P. A. - Tout d'abord le fait que ce sont des rapaces omnivores. Pendant la vague des privatisations des années 1990, ils prenaient pour cibles les grandes entreprises comme les compagnies pétrolières, les compagnies spécialisées dans l'extraction et l'énergie, etc. Aujourd'hui, ils ne dédaignent plus les petites boutiques, les magasins d'alimentation, les réseaux de pharmacies, les immeubles d'habitation, les terrains...
Dernier exemple en date : le …