Hamid Karzaï reçoit au Palais Arg de Kaboul (l'ancienne résidence du roi Zaher Shah), une véritable forteresse où l'on ne pénètre qu'après avoir parcouru 800 mètres à pied en longeant de hauts murs de protection en béton, derrière lesquels se dissimulent de merveilleux jardins de roses. Avant d'être accueilli par le chef du protocole - parfaitement francophone -, le visiteur traverse plusieurs check-points des forces spéciales afghanes, où il est soumis à une fouille en règle tandis que ses effets personnels sont soigneusement reniflés par des chiens spécialement entraînés à cette tâche. C'est probablement le palais présidentiel le plus menacé - et le plus sécurisé - du monde. En 2002, le président Karzaï a échappé de très peu à une tentative d'assassinat par un commando de talibans. Le 15 août 2009, une voiture bourrée d'explosifs a sauté, non loin du palais présidentiel, devant le siège du quartier général de l'ISAF (International Stabilisation and Assistance Force de l'Otan), tuant sept passants afghans et blessant cinq soldats de l'Otan.Que le président Karzaï soit physiquement menacé par les extrémistes islamistes de son pays liés à Al-Qaida ou au mollah Omar est une évidence. Mais ce qui est nouveau, c'est qu'il se trouve aujourd'hui également menacé politiquement. Certains leaders occidentaux, comme le vice-président américain Joe Biden, lui reprochent publiquement l'inefficacité et la corruption de son administration. On ne peut que constater, dans la vie de tous les jours, la corruption de la police nationale afghane et la détérioration de la situation sécuritaire dans toutes les provinces du Sud et de l'Est (le « croissant pashtoune »). La population ne cesse de se demander où sont passés les 35 milliards d'aide internationale déversés sur le pays depuis la conférence de Bonn de décembre 2001.
La seule bonne nouvelle est le changement de stratégie annoncé par le nouveau commandant en chef des 100 000 soldats de l'Otan (dont 67 000 Américains), le général Stanley McChrystal. L'accent est désormais mis sur la protection des populations et du pays utile. Admirateur de la théorie de la « tache d'huile » du maréchal Lyautey, le stratège américain estime qu'il est vain de chercher à tuer le plus de talibans possible. Son plan consiste à reprendre aux talibans les zones rurales les plus densément peuplées (comme les zones de culture le long de la rivière Helmand), à y implanter les forces de sécurité afghanes et à y encourager l'émergence de projets de développement (puits, routes, dispensaires, etc.) financés par l'aide internationale. L'idée est de couper la population des bandes d'insurgés, en attendant que l'insurrection s'éteigne d'elle-même. Par ailleurs, McChrystal veut limiter au maximum l'usage des bombardements aériens, responsables dans le passé d'un trop grand nombre de bavures contre les civils. Hamid Karzaï a apporté son soutien à la nouvelle stratégie américaine.
Financée à hauteur de 200 millions de dollars par la communauté internationale, l'élection présidentielle du 20 août a bien eu lieu, ce qui représente en soi une victoire face aux menaces des talibans (ils avaient promis de couper le doigt, maculé d'encre indélébile, de tout Afghan qui aurait participé à ce processus démocratique « impie »). Hélas, ce scrutin a été entaché de fraudes massives, publiquement dénoncées par la mission d'observation de l'Union européenne dirigée par le général Morillon ainsi que par le numéro 2 de la représentation de l'ONU à Kaboul, l'ancien ambassadeur américain Peter Galbraith. Morillon et Galbraith ont parlé d'« un million et demi de bulletins de vote suspects », ce qui fait beaucoup pour un total de suffrages exprimés inférieur à six millions. Toutes choses égales par ailleurs, le président Karzaï se trouve dans la position inconfortable qui fut celle de Richard Nixon en 1972 : il a triché - ou couvert des tricheries - alors qu'il n'avait sans doute pas besoin de cela pour gagner...
R. G. Renaud Girard - Au lendemain de l'élection présidentielle du 20 août dernier, votre principal adversaire, le Dr Abdullah Abdullah, a parlé d'une fraude massive. Il vous a reproché d'avoir organisé une gigantesque « fraude d'État ». Que répondez-vous à ces graves accusations ?
Hamid Karzaï - Pendant sept ans, la presse occidentale m'a constamment reproché d'être trop tolérant, trop accommodant. Eh bien, je n'ai pas l'intention de changer. Je ne répondrai donc pas aux remarques de M. Abdullah. Cela est une élection : il y a forcément un vainqueur et un perdant.
En fait, les électeurs ont voté exactement comme en 2004. L'Afghanistan est une société traditionnelle aux structures tribales. Les gens votent collectivement. Ce sont des blocs entiers de voix qui se sont portés sur mon nom ou sur celui de M. Abdullah.
La manière dont les médias britanniques et américains ont manqué de respect à l'égard de ces élections m'a beaucoup déçu. Songez aux vingt-deux collaborateurs de la Commission électorale qui ont trouvé la mort dans ce processus démocratique honni par les talibans. Songez aux policiers afghans et aux soldats de l'Otan qui ont été tués. Ces journalistes cherchent à délégitimer le futur gouvernement afghan. Si cette manipulation médiatique a pour but d'installer un gouvernement de marionnettes, cela ne marchera pas. En Afghanistan, les marionnettes n'ont jamais porté chance à leurs maîtres étrangers. Par le passé, les empires britannique et soviétique ont essayé. La manoeuvre a échoué lamentablement. J'espère pour eux que les Américains résisteront à la tentation, car ils s'exposeraient au même destin.
Quant aux élections, il y a eu des fraudes en 2004, il y en a aujourd'hui, il y en aura demain. C'est, hélas, inévitable dans une démocratie naissante. Mais notre loi donne tous pouvoirs à une commission indépendante (1) pour statuer sur les plaintes déposées et corriger les résultats.
R. G. - Vous êtes au pouvoir depuis sept ans et demi. Quels ont été vos succès, vos échecs ?
H. K. - Mon gouvernement a redonné l'Afghanistan aux Afghans. Communistes, moudjahidins, religieux, non-religieux, hommes, femmes, riches, pauvres : tous sont revenus en Afghanistan. Les Afghans pauvres, qui étaient réfugiés par millions au Pakistan et en Iran, sont de retour dans leurs villages. Les riches Afghans d'Europe et d'Amérique sont eux aussi revenus dans leur pays, où ils tentent de s'enrichir encore davantage. Nous avons rétabli un État, un Trésor public. En 2002, l'Afghanistan n'avait que 180 millions de dollars de réserves de change. Il en a aujourd'hui 3,7 milliards. En 2002, les Afghans se servaient de cinq monnaies différentes. Ils n'utilisent aujourd'hui que l'afghani, dont le cours est stable. Des milliers de garçons et de filles sont scolarisés. L'enseignement supérieur progresse. La liberté de la presse est totale, parfois à la limite de l'anarchie. L'Afghanistan a reconstruit son économie. Voilà pour nos succès.
Mais nous n'avons pas réussi à apporter la paix à tout le territoire, nous n'avons pas vaincu le terrorisme. C'est une responsabilité que je partage avec la communauté internationale. Ma tristesse …
La seule bonne nouvelle est le changement de stratégie annoncé par le nouveau commandant en chef des 100 000 soldats de l'Otan (dont 67 000 Américains), le général Stanley McChrystal. L'accent est désormais mis sur la protection des populations et du pays utile. Admirateur de la théorie de la « tache d'huile » du maréchal Lyautey, le stratège américain estime qu'il est vain de chercher à tuer le plus de talibans possible. Son plan consiste à reprendre aux talibans les zones rurales les plus densément peuplées (comme les zones de culture le long de la rivière Helmand), à y implanter les forces de sécurité afghanes et à y encourager l'émergence de projets de développement (puits, routes, dispensaires, etc.) financés par l'aide internationale. L'idée est de couper la population des bandes d'insurgés, en attendant que l'insurrection s'éteigne d'elle-même. Par ailleurs, McChrystal veut limiter au maximum l'usage des bombardements aériens, responsables dans le passé d'un trop grand nombre de bavures contre les civils. Hamid Karzaï a apporté son soutien à la nouvelle stratégie américaine.
Financée à hauteur de 200 millions de dollars par la communauté internationale, l'élection présidentielle du 20 août a bien eu lieu, ce qui représente en soi une victoire face aux menaces des talibans (ils avaient promis de couper le doigt, maculé d'encre indélébile, de tout Afghan qui aurait participé à ce processus démocratique « impie »). Hélas, ce scrutin a été entaché de fraudes massives, publiquement dénoncées par la mission d'observation de l'Union européenne dirigée par le général Morillon ainsi que par le numéro 2 de la représentation de l'ONU à Kaboul, l'ancien ambassadeur américain Peter Galbraith. Morillon et Galbraith ont parlé d'« un million et demi de bulletins de vote suspects », ce qui fait beaucoup pour un total de suffrages exprimés inférieur à six millions. Toutes choses égales par ailleurs, le président Karzaï se trouve dans la position inconfortable qui fut celle de Richard Nixon en 1972 : il a triché - ou couvert des tricheries - alors qu'il n'avait sans doute pas besoin de cela pour gagner...
R. G. Renaud Girard - Au lendemain de l'élection présidentielle du 20 août dernier, votre principal adversaire, le Dr Abdullah Abdullah, a parlé d'une fraude massive. Il vous a reproché d'avoir organisé une gigantesque « fraude d'État ». Que répondez-vous à ces graves accusations ?
Hamid Karzaï - Pendant sept ans, la presse occidentale m'a constamment reproché d'être trop tolérant, trop accommodant. Eh bien, je n'ai pas l'intention de changer. Je ne répondrai donc pas aux remarques de M. Abdullah. Cela est une élection : il y a forcément un vainqueur et un perdant.
En fait, les électeurs ont voté exactement comme en 2004. L'Afghanistan est une société traditionnelle aux structures tribales. Les gens votent collectivement. Ce sont des blocs entiers de voix qui se sont portés sur mon nom ou sur celui de M. Abdullah.
La manière dont les médias britanniques et américains ont manqué de respect à l'égard de ces élections m'a beaucoup déçu. Songez aux vingt-deux collaborateurs de la Commission électorale qui ont trouvé la mort dans ce processus démocratique honni par les talibans. Songez aux policiers afghans et aux soldats de l'Otan qui ont été tués. Ces journalistes cherchent à délégitimer le futur gouvernement afghan. Si cette manipulation médiatique a pour but d'installer un gouvernement de marionnettes, cela ne marchera pas. En Afghanistan, les marionnettes n'ont jamais porté chance à leurs maîtres étrangers. Par le passé, les empires britannique et soviétique ont essayé. La manoeuvre a échoué lamentablement. J'espère pour eux que les Américains résisteront à la tentation, car ils s'exposeraient au même destin.
Quant aux élections, il y a eu des fraudes en 2004, il y en a aujourd'hui, il y en aura demain. C'est, hélas, inévitable dans une démocratie naissante. Mais notre loi donne tous pouvoirs à une commission indépendante (1) pour statuer sur les plaintes déposées et corriger les résultats.
R. G. - Vous êtes au pouvoir depuis sept ans et demi. Quels ont été vos succès, vos échecs ?
H. K. - Mon gouvernement a redonné l'Afghanistan aux Afghans. Communistes, moudjahidins, religieux, non-religieux, hommes, femmes, riches, pauvres : tous sont revenus en Afghanistan. Les Afghans pauvres, qui étaient réfugiés par millions au Pakistan et en Iran, sont de retour dans leurs villages. Les riches Afghans d'Europe et d'Amérique sont eux aussi revenus dans leur pays, où ils tentent de s'enrichir encore davantage. Nous avons rétabli un État, un Trésor public. En 2002, l'Afghanistan n'avait que 180 millions de dollars de réserves de change. Il en a aujourd'hui 3,7 milliards. En 2002, les Afghans se servaient de cinq monnaies différentes. Ils n'utilisent aujourd'hui que l'afghani, dont le cours est stable. Des milliers de garçons et de filles sont scolarisés. L'enseignement supérieur progresse. La liberté de la presse est totale, parfois à la limite de l'anarchie. L'Afghanistan a reconstruit son économie. Voilà pour nos succès.
Mais nous n'avons pas réussi à apporter la paix à tout le territoire, nous n'avons pas vaincu le terrorisme. C'est une responsabilité que je partage avec la communauté internationale. Ma tristesse …
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