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LA CHUTE DU MUR VUE DE RFA

L'ambassadeur Hans-Georg Wieck (1) a été nommé à la tête des services de renseignement de la RFA (BND) en 1985. Son prédécesseur à ce poste, Heribert Hellenbroich, avait dû démissionner au bout de quelques mois, après qu'un de ses proches collaborateurs, Hansjoachim Tiedge, fut passé à l'Est, trahissant de nombreux agents occidentaux.À l'époque, une bonne partie de la classe politique ouest-allemande et de nombreux dirigeants occidentaux imaginaient que les citoyens de la RDA s'étaient accommodés du régime d'Erich Honecker. Le nouveau patron du renseignement ouest-allemand affirma rapidement qu'il n'en était rien : selon les rapports rédigés par ses services, les trois quarts des Allemands de l'Est aspiraient à la réunification avec la RFA ! Ce diagnostic a sans doute renforcé Helmut Kohl dans son désir de réaliser la réunification aussi vite que possible.
Hans-Georg Wieck aura été le dernier chef du BND de la guerre froide : à son arrivée, la République fédérale était prise dans une lutte féroce contre la RDA ; à son départ, le Mur était tombé et les deux Allemagnes ne faisaient plus qu'une.
J.-P. P. Jean-Paul Picaper - Vos adversaires de la Stasi ont affirmé, après la réunification allemande, qu'ils étaient « meilleurs que le BND »...
Hans-Georg Wieck - C'est ce qu'ils m'ont dit, en effet. « Naturellement - leur ai-je répondu -, vous disposiez d'un très bon savoir-faire professionnel ; mais vous aviez également une idéologie qui vous empêchait d'appréhender la réalité. Vous viviez dans un monde artificiel. »
J.-P. P. - Pourtant, ils s'appuyaient sur de nombreux agents très bien formés...
H.-G. W. - Certes, mais ils ne connaissaient pas leurs propres collaborateurs parce qu'ils les voyaient à travers le prisme d'une doctrine ! Quant à ceux qui ne pensaient pas comme eux, ils ne pouvaient tout simplement pas les comprendre. De sorte qu'ils étaient incapables de se définir eux-mêmes par rapport au monde environnant. Là résidait la différence principale entre eux et nous. Ils ont tout simplement ignoré ce que leur population ressentait, souhaitait et voulait réaliser. C'est pourquoi j'estime qu'ils se trompent en affirmant qu'ils étaient meilleurs que nous. Dire que les services secrets occidentaux en général et ouest-allemands en particulier étaient « faibles » relève de la fiction.
J.-P. P. - Votre rôle en RFA était cependant moins important que celui de la Stasi en RDA...
H.-G. W. - Le BND était - et est toujours - avant tout une instance vouée à livrer des analyses. On n'aime pas associer les services de renseignement aux décisions. Par surcroît, à la différence de la Stasi, nous n'avons jamais cherché à influencer la politique des autres pays.
J.-P. P. - Le BND venait de subir une crise quand vous y êtes arrivé...
H.-G. W. - On avait quelque peu négligé le traitement scientifique des données. Je venais de l'extérieur du service. J'ai réorienté son travail vers l'analyse de la situation globale. En arrivant, j'ai expliqué à mes collaborateurs que l'Union soviétique était en train de changer. Après une longue phase de stagnation idéologique, économique et politique, elle entamait une phase de réformes décisives. Moi qui avais travaillé auparavant au Conseil de l'Otan, j'en avais peut-être plus conscience que certains spécialistes qui avaient passé toute leur carrière au BND.
Résultat : notre renseignement militaire a joué un rôle important dans cette phase ultime de la guerre froide. On a pu déduire des dossiers de la Stasi et du KGB auxquels nous avons eu accès après 1989 que, de 1948 à 1990, nous avions estimé avec justesse les capacités militaires de l'Union soviétique et du Pacte de Varsovie. Les analyses que j'avais eues en main à l'Otan, ainsi que les informations communiquées par nos collègues américains, britanniques et français, jointes aux nôtres, nous donnaient une image exacte de la situation. Nous étudiions également avec une grande attention les informations économiques et le climat politique à l'Est.
J.-P. P. - Votre perception de la RDA était donc juste ?
H.-G. W. - Je me suis rapidement aperçu que, au sein du service, les appréciations concernant la RDA divergeaient significativement. J'ai pris des mesures visant …