Les Grands de ce monde s'expriment dans

LA DEUXIEME VIE DE L'OTAN

Le Danois Anders Fogh Rasmussen est le premier chef de gouvernement à avoir été désigné au poste de secrétaire général de l'Otan alors qu'il était encore en fonctions. Il a été nommé à l'âge de 56 ans, lors du sommet de l'Otan tenu à Strasbourg-Kehl, au début du mois d'avril dernier.Le désormais ex-premier ministre danois (il a démissionné de ses fonctions nationales dès le 5 avril) ne faisait pas mystère, ces dernières années, de son envie de quitter Copenhague pour assumer des responsabilités à un niveau international. Sa proximité avec les États-Unis, pays qu'il admire depuis sa jeunesse, a joué en sa faveur au moment où l'Otan a dû trouver un successeur au Néerlandais Jaap de Hoop Scheffer (qui a dirigé l'Alliance de 2004 à 2009). Rappelons qu'en 2003 le Danemark a été l'un des rares membres de l'Union européenne, avec la Grande-Bretagne, à participer militairement à l'intervention de la « Coalition des volontaires » en Irak. Si la contribution danoise a été quasi symbolique, elle n'en a pas moins été appréciée par l'administration Bush.
Ce ralliement à la ligne américaine en Irak n'a pas nui à la carrière politique d'Anders Fogh, comme on l'appelle simplement dans son pays où les Rasmussen sont pléthore. Devenu premier ministre en 2001, il a été reconduit à deux reprises, en 2005 puis en 2007, à la tête d'une alliance que formaient le Parti libéral danois (Venstre), qu'il a présidé jusqu'à sa nomination à l'Otan, et le Parti conservateur. Cette coalition étant minoritaire au Parlement depuis 2001 (1), Rasmussen a dû chercher d'autres soutiens. Il les a trouvés à sa droite puisqu'il s'est entendu avec le Parti du peuple danois (DF), une formation populiste et xénophobe. Le DF a monnayé son appoint en obtenant un durcissement de la législation et de la pratique danoises en matière d'accueil des immigrés et des réfugiés - une politique qui a suscité les critiques du Conseil de l'Europe, mais aussi une controverse à l'intérieur du royaume.
C'est dans ce contexte local relativement tendu qu'Anders Fogh a dû gérer l'affaire des caricatures de Mahomet publiées en septembre 2005 dans le quotidien danois Jyllands-Posten. Au nom de la défense de la liberté d'expression, principe sacro-saint dans le pays, son gouvernement s'est abstenu de condamner la publication de ces dessins jugés blasphématoires par une partie de la communauté musulmane au Danemark et dans le reste du monde. En refusant de recevoir les ambassadeurs des pays musulmans pour écouter leurs doléances, le premier ministre contribua à donner une dimension planétaire à un mécontentement jusqu'alors relativement restreint.
Le douzième secrétaire général de l'Otan - et premier Danois à ce poste - est un Européen convaincu, contrairement à une majorité de ses compatriotes, qui ont rejeté par référendum le traité de Maastricht en 1992, puis le passage à l'euro en 2000. Une fois à la tête du gouvernement, il n'a toutefois pas osé organiser un référendum visant à abolir une ou toutes les dérogations accordées au Danemark par ses partenaires européens fin 1992 pour que les électeurs adoptent un Maastricht « light », ce qui fut fait en mai 1993. Bien que ces exemptions (le Danemark ne participe ni à la monnaie unique, ni à la défense commune, ni à la coopération judiciaire, ni au projet de citoyenneté européenne) nuisent, selon lui, au pays, il estime que les Danois ne sont pas encore prêts à les abroger. Anders Fogh a également mis de l'eau dans son vin en matière idéologique, lui qui avait appelé de ses voeux l'émergence d'un « État minimal » dans un livre publié en 1993. Ce recentrage pragmatique lui a permis de jouir d'une relative popularité auprès des Danois, soucieux de préserver « leur » État-providence.
L'ancien premier ministre passe pour être un grand organisateur, un travailleur acharné qui ne laisse passer aucun détail et maîtrise toutes les ficelles de la communication. Bon orateur, il sait écouter, mais peut se montrer cassant à l'égard d'interlocuteurs dont il estime qu'ils ne sont pas de son niveau. Marié et père de trois enfants, cet amateur de jogging, de vélo et de kayak possède une maison d'été à Roquebrune, dans l'Hérault, et parle un français qui s'améliore au fil des années. Voici le premier entretien de fond accordé à la presse francophone par le nouveau secrétaire général de l'Otan.
A. J. Antoine Jacob - Vous avez pris vos fonctions, le 1er août, au sein d'une organisation qui a éprouvé des difficultés à se trouver une place après la fin de la guerre froide. Certains ont même douté de la nécessité de conserver une telle structure puisque l'ennemi ayant justifié sa création - l'Union soviétique - avait disparu. Vingt ans après la chute du Mur de Berlin, qu'est-ce qui justifie l'existence de l'Otan ?
Anders Fogh Rasmussen - Permettez-moi de rappeler, tout d'abord, que l'histoire de l'Otan est un beau succès. C'est sans doute la plus réussie des alliances de toute l'Histoire ! Pendant soixante ans, elle a procuré sécurité et stabilité aux pays de l'hémisphère Nord. Et elle a remporté la guerre froide.
Avec l'effondrement du communisme, une menace a cessé d'exister. Mais d'autres dangers sont apparus. Je pense, bien entendu, au terrorisme, mais aussi aux cyberattaques, à la piraterie ou encore aux risques qui pèsent sur la sécurité énergétique. D'une certaine manière, la vie était plus simple pendant la guerre froide ! À l'époque, l'ennemi était clairement identifié... De nos jours, les menaces sont plus diffuses, mais tout aussi réelles. C'est pourquoi je suis convaincu que l'Otan a encore toute sa raison d'être. Naturellement, elle doit s'adapter à cette nouvelle donne.
A. J. - Pouvez-vous nous parler de cette « adaptation »?
A. F. R. - Désormais, la défense du territoire des pays membres de notre Alliance commence très loin de nos frontières. Par exemple, dans les montagnes et les déserts d'Afghanistan... Dès lors, il est évident que nous avons besoin de transformer nos forces armées, qui ont été pensées avant tout pour défendre nos pays contre des invasions « classiques ». Il faut faire en sorte que ces forces armées deviennent plus flexibles et plus faciles à déployer, afin de participer plus efficacement à des opérations militaires internationales. En un mot, nous avons encore besoin de l'Otan ; mais nous avons surtout besoin d'une nouvelle Otan.
A. J. - C'est cette prise de conscience qui a incité votre prédécesseur, Jaap de Hoop Scheffer, à lancer, l'an dernier, un processus de rénovation du « concept stratégique de l'Otan ». Selon vous, quels doivent être les champs de compétence de l'Otan de demain ?
A. F. R. - Le nouveau concept stratégique servira de cadre à la transformation de l'Otan. Il repose sur une vision de l'Alliance qui s'articule en plusieurs points : 1) l'Otan en tant que pourvoyeur de défense territoriale et de dissuasion ; 2) l'Otan en tant que fournisseur de sécurité globale ; 3) l'Otan en tant que centre de dialogue global sur la sécurité ; 4) l'Otan en tant que participant au nation building.
Comme je l'ai déjà dit, il est indispensable d'améliorer notre capacité de déploiement. Plus de 70 % des forces armées en Europe sont stationnaires, ce qui signifie qu'elles ne peuvent pas être déplacées rapidement. Il faut y remédier.
A. J. - En ce moment, les États doivent faire des choix difficiles dans leurs …