LA LIBERTE OU LE SAUCISSON

n° 125 - Automne 2009

Le nom de Mikhaïl Khodorkovski déchaîne les passions depuis plusieurs années, aussi bien en Russie que dans le reste du monde. Aux yeux de ses détracteurs, ce brillant homme d'affaires, créateur dans les années 1990 du conglomérat pétrolier Ioukos, incarne tous les maux de l'époque de la « privatisation sauvage » qui eut lieu en Russie lors des deux mandats de Boris Eltsine (qui présida le pays de 1991 à 1999). Sa condamnation à huit ans de prison, à l'issue d'un procès qui dura de 2003 à 2005, apparaît dès lors comme un « juste châtiment » pour celui qui n'aurait pas hésité à contourner la loi afin de bâtir son empire et de devenir l'homme le plus riche de Russie. Selon l'acte d'accusation, Ioukos se serait livré à une gigantesque fraude fiscale, dont son patron aurait été l'un des premiers bénéficiaires. De nombreux Russes, ainsi que l'élite politique de Moscou, estiment que l'oligarque déchu, interné en Sibérie, « n'a eu que ce qu'il mérite ».Tous ne sont pas de cet avis. Ils trouvent étrange que, de tous les oligarques russes, Khodorkovski ait été le seul à subir un tel sort. Car si Boris Berezovski ou Vladimir Goussinski - deux autres grands magnats des années 1990 - ont préféré quitter le pays, plusieurs de leurs anciens « collègues » ont réussi, eux, à entrer dans les bonnes grâces du Kremlin. Khodorkovski aurait été puni, en réalité, car l'entourage de Vladimir Poutine (qui a succédé en 2000 à Boris Eltsine) voyait en lui une menace. En effet, le patron de Ioukos s'était rapproché des partis d'opposition et entendait, par surcroît, mener ses affaires au mieux des intérêts de son entreprise, sans chercher à se ménager les faveurs de l'exécutif.
Ce qui est sûr, c'est que le premier procès Ioukos a suscité un flot de critiques, tant les droits de la défense y ont semblé bafoués. En dépit de nombreuses failles dans le dossier, Khodorkovski et plusieurs de ses collègues, au premier rang desquels Platon Lebedev, ex-numéro 2 du géant pétrolier, ont été condamnés à de lourdes peines. Quant à la compagnie elle-même, elle a été mise en faillite et ses actifs ont été récupérés par des entreprises proches du pouvoir, notamment Rosneft, qui appartient à 75 % à l'État. Incarcéré dans l'est de la Sibérie - à Krasnokamensk, puis à Tchita -, Khodorkovski espérait pouvoir sortir en 2011, à l'issue de ses huit ans de détention, voire plus tôt. Mais, en 2006, de nouvelles accusations ont été portées contre lui et contre Lebedev. Inculpé de revente illégale de pétrole et de blanchiment d'argent, il a été transféré à Moscou où son second procès s'est ouvert en mars 2009. Alors que le procès bat son plein, il a accepté - comme il l'avait déjà fait lors de son premier procès, en 2005 (1) - de répondre aux questions de Politique Internationale. Qu'il s'agisse de son sort personnel ou du destin de la Russie, l'oligarque déchu, aujourd'hui âgé de 46 ans, veut croire à des lendemains meilleurs.
P. I. Politique Internationale - Après avoir été condamné, en 2005, à huit ans de prison pour escroquerie et fraude fiscale, vous êtes aujourd'hui de nouveau poursuivi pour blanchiment d'argent sale. La peine maximale qui pourrait être prononcée contre vous à l'issue du procès est de 21 ans. De votre point de vue, qu'est-ce qui explique ces nouvelles accusations dont vous faites l'objet ?
Mikhaïl Khodorkovski - Ces accusations sont complètement falsifiées, elles ne reposent que sur des inventions. Pis : dans les faits, elles contredisent directement celles dont j'ai fait l'objet en 2003 et qui m'ont valu d'être condamné en 2005 à l'issue de mon premier procès. À l'époque, mes accusateurs prétendaient que Ioukos n'avait pas payé tous les impôts dus pour le pétrole qu'il avait extrait et vendu. À présent, ils affirment que c'est moi, Mikhaïl Khodorkovski, qui aurais personnellement volé le pétrole, directement sur le puits dont il était extrait ! Mais, dans ce cas, cela signifie que Ioukos n'a jamais possédé de pétrole ! Si l'on suit cette théorie démente, alors Ioukos n'avait pas d'impôts à payer, et il n'y avait aucune raison de mettre l'entreprise en faillite pour avoir prétendument dissimulé ses revenus au fisc.
P. I. - Selon vous, pourquoi l'accusation commet-elle de telles erreurs de logique ?
M. K. - Avant tout parce que les gens qui ont concocté ce second procès ne sont pas très compétents. Ensuite, parce qu'ils sont certains de pouvoir faire tout ce qu'ils veulent sans jamais avoir à répondre de leurs actes...
P. I. - Qui a « commandité » ce second procès ?
M. K. - Il existe de nombreuses spéculations sur ce point. Des éléments concrets indiquent que les metteurs en scène de cette mascarade sont des fonctionnaires travaillant à un échelon intermédiaire du pouvoir. Ces fonctionnaires, ainsi que leurs partenaires du monde des affaires, se sont personnellement enrichis à l'issue du premier procès et de la faillite de Ioukos. J'en ai ouvertement parlé au tribunal. Je ne vais pas citer les noms de ces individus, car je sais que nos tribunaux seraient ravis de proclamer qu'ils sont honnêtes et que mes paroles révèlent de la calomnie. Mais chacun sait que les actifs de Ioukos se sont évaporés dans la nature...
P. I. - Quelle issue prévoyez-vous à ce second procès ?
M. K. - Je pense que cette question n'a pas été réglée à l'avance. D'après moi, même les initiateurs de ce procès ignorent comment il va se terminer. Cependant, il est indiscutable que le tribunal se montre tout à fait partial. Par exemple, on a refusé de répondre à mes interrogations portant sur de nombreux points de l'accusation, ce qui est absolument illégal.
P. I. - Globalement, quelle analyse faites-vous de la procédure judiciaire ? Vos droits sont-ils respectés ?
M. K. - La procédure est conduite de manière plus civilisée que lors du premier procès. Il n'empêche que le tribunal se place souvent du côté de l'accusation, sans s'en cacher, d'ailleurs. À la demande de …

Sommaire

DE LA RENTE PETROLIERE A L'ECONOMIE DURABLE

Entretien avec Abdullah Ben Ahmad al-Attiyah par la Rédaction de Politique Internationale

L'EUROPE FACE A L'ISLAMISME

Entretien avec Magdi cristiano Allam par Alexandre Del Valle

L'AN PROCHAIN A RAMALLAH

Entretien avec Marwan Barghouti par Aude Marcovitch

MOLDAVIE : LA FIN DE L'ERE VORONINE

par Arielle Thédrel et Mihnea Berindei

LA FRANCE ET LE NUCLEAIRE

par Bernard Bigot

POUR L'AMOUR DE LA GUINEE

Entretien avec Moussa dadis Camara par Pascal Drouhaud

DJIHAD DANS LE CAUCASE DU NORD

par Didier Chaudet

IRAN : LE CREPUSCULE DE LA THEOCRATIE ?

par Thérèse Delpech

LE NEW DEAL ENERGETIQUE DE BARACK OBAMA

par Michel Derdevet

UKRAINE : ORANGES AMERES

par Arnaud Dubien

BRESIL : DU PETROLEAUX BIOCARBURANTS

par José sérgio Gabrielli de azevedo

LA CHUTE DU MUR VUE DE RDA

Entretien avec Werner Grossman par Jean-Paul Picaper

AFGHANISTAN : CHRONIQUE D'UN ECHEC ANNONCE

par Ronald Hatto

CHINE : LES FLEURS FANEES DE LA REVOLUTION

par Marie Holzman

POUR UN AVENIR SOBRE EN CARBONE

par Lord Hunt

KABOUL, ACTE II

Entretien avec Hamid Karzaï par Renaud Girard

LA LIBERTE OU LE SAUCISSON

Entretien avec Mikhaïl Khodorkovski par la Rédaction de Politique Internationale

CRISE : POURQUOI LES BANQUES CENTRALES N'ONT RIEN VU VENIR

par Henri Lepage

GUERRE OU PAIX EN IRAK ?

par Pierre-Jean Luizard

PRODUCTEURS / CONSOMMATEURS : LES CLES D'UNE RELATION GAGNANT-GAGNANT

Entretien avec Christophe de Margerie par la Rédaction de Politique Internationale

L'ARCTIQUE SANS LA BANQUISE ?

par Jean-François Minster

LA DEUXIEME VIE DE L'OTAN

Entretien avec Anders Fogh Rasmussen par Antoine Jacob

POUR UNE AUTRE IDEE DU DEVELOPPEMENT

Entretien avec Amartya Sen par Brigitte Adès

GRAND NORD : LA NOUVELLE FRONTIERE

par François Thual

L'EUROPE ET L'ENERGIE

Entretien avec Hubert Védrine par la Rédaction de Politique Internationale

LA CHUTE DU MUR VUE DE RFA

Entretien avec Hans-Georg Wieck par Jean-Paul Picaper

LE PAKISTAN DE TOUS LES DEFIS

Entretien avec Asif ali Zardari par Emmanuel Derville

LA PIEGE DU PETROLE VERT

par la Rédaction de Politique Internationale