Septembre 2000. Les premiers affrontements entre Israéliens et Palestiniens éclatent à Jérusalem. Très vite, les territoires palestiniens s'embrasent et les attentats suicides sèment le chaos dans les rues des villes israéliennes. La région plonge dans de longues années de violence qui feront plus de 4 500 morts côté palestinien et plus de 1 100 côté israélien. Un homme émerge comme l'un des principaux chefs de guerre palestiniens. On le surnomme l'« ingénieur de la deuxième Intifada ». Son nom : Marwan Barghouti. Né en 1958 à Ramallah, il a déjà l'expérience des soulèvements. En 1976, à l'âge de 18 ans, il est emprisonné par les Israéliens pendant 18 jours pour participation à une révolte ; deux ans plus tard, il est condamné à 4 ans de détention ; et en 1987, il est déjà l'un des chefs politiques de la première Intifada. Arrêté la même année par les services de sécurité de l'État hébreu, il est exilé en Jordanie. Il ne reviendra qu'en 1994, après la signature des Accords d'Oslo. C'est dans les rangs du Fatah de Yasser Arafat que Marwan Barghouti fait ses classes politiques. Élu au Conseil législatif palestinien lors des premières élections législatives palestiniennes de 1996, il est nommé secrétaire général du Fatah pour la Cisjordanie. Mais l'espoir suscité par les Accords d'Oslo fait long feu.
Côté palestinien, la vieille garde politique venue de l'extérieur est jugée avec suspicion et accusée de corruption. Sur le terrain, la situation n'évolue guère : la construction de colonies israéliennes dans les territoires palestiniens continue ; les militaires israéliens sillonnent toujours les routes de Cisjordanie ; et les barrages n'ont pas disparu. En outre, une partie des dirigeants palestiniens n'ont pas abandonné l'idée de fonder un État sur tout le territoire de la Palestine mandataire, Israël inclus.
Côté israélien, l'ère du changement déçoit tout autant. Les attentats continuent pendant toute la période qui suit Oslo. Il est également difficile pour nombre de citoyens - dont le jeune Yigal Amir, qui assassine Yitzhak Rabin en 1995 - d'abandonner l'idée du « grand Israël » et de renoncer à la Judée et à la Samarie historiques.
En 2000, Israël retire ses troupes du sud du Liban. Ce geste, perçu dans le monde arabe comme une victoire de la lutte armée du Hezbollah, donne des idées à la rue palestinienne. Enfin, les négociations israélo-palestiniennes patinent : à l'été 2000, la rencontre entre Ehud Barak et Yasser Arafat à Camp David, sous les auspices de Bill Clinton, est un cuisant échec.
C'est dans cette atmosphère délétère que naît la deuxième Intifada qui offrira à Marwan Barghouti ses heures de gloire. Ce théoricien bardé de diplômes, qui a étudié l'histoire et les sciences politiques et dont le rôle, jusqu'alors, avait été surtout politique, va cette fois franchir le pas et se plonger dans l'organisation de la lutte armée, y compris sur le sol israélien. Devenu chef des Tanzim (la branche combattante du Fatah), il dirigera également les activités des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, un nouveau groupe issu du Fatah et responsable de plusieurs attentats suicides en Israël, notamment contre des civils. Comme le dévoilera le procès de Marwan Barghouti, l'argent qui finance les actions des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa provient de différentes sources, dont l'Autorité palestinienne. Les Israéliens retrouveront des documents autorisant le versement de certains fonds aux Brigades portant la signature de Yasser Arafat lui-même.
Barghouti devient l'un des leaders palestiniens les plus recherchés par les Israéliens. Mais, contrairement à d'autres, comme le cheikh Ahmed Yassine, il échappera à l'assassinat ciblé et sera finalement arrêté en 2002. Son interpellation puis son jugement en 2004 donnent à penser que l'homme - dont la popularité s'est accrue parmi ses compatriotes et qui a la particularité d'être pragmatique - a été préservé afin qu'il puisse revenir, plus tard, sur la scène politique en tant qu'interlocuteur acceptable aux yeux des Israéliens.
Condamné en 2004 à cinq peines de prison à perpétuité pour l'assassinat de cinq personnes par l'intermédiaire d'un groupe armé lors de trois attentats, Marwan Barghouti refuse de se défendre pendant son procès, affirmant qu'il ne reconnaît pas la légitimité des tribunaux israéliens.
Incarcéré à l'établissement pénitentiaire de Hadarim, au nord de Tel-Aviv, il continue de faire parler de lui. En prison, il a mené une grève de la faim pour se plaindre des conditions de détention ; il a lancé en 2006, avec cinq autres représentants des différents courants politiques palestiniens (y compris le Hamas et le Jihad islamique), le « Document des prisonniers » - un texte qui appelle à la création d'un État de Palestine dans les frontières de 1967, et reconnaît donc implicitement Israël (1). Enfin, en août dernier, Marwan Barghouti a été élu au Comité central du Fatah (l'instance exécutive du parti, qui compte 21 membres).
Pour de nombreux observateurs, ce prisonnier remuant pourrait bien devenir le prochain président palestinien (l'élection devrait avoir lieu en janvier de l'année prochaine). S'il est issu du Fatah, il connaît de près les dirigeants du Hamas et semble jouir d'une grande popularité auprès de l'ensemble des Palestiniens, popularité qui n'a cessé de se renforcer depuis son incarcération. Selon un récent sondage, si une élection présidentielle avait lieu rapidement, il l'emporterait largement face à Ismaël Haniyeh, le leader du Hamas.
En effet, malgré ses cinq condamnations à perpétuité, la porte de la prison ne s'est pas définitivement refermée sur Marwan Barghouti. Il figure en bonne place sur la liste des prisonniers palestiniens qui pourraient être échangés contre la libération du soldat israélien Gilad Shalit, enlevé en 2006 par le Hamas. Par l'intermédiaire de l'Égypte, Israël et le Hamas discutent depuis plusieurs années des clauses d'un tel scénario ; mais l'accord piétine. Il n'empêche que les deux parties n'ont pas d'autre choix que de trouver un terrain d'entente et les navettes des représentants israéliens et palestiniens entre Jérusalem et Le Caire, et entre Gaza et Le Caire, continuent inlassablement.
L'entretien que vous allez découvrir est un texte rare. Marwan Barghouti a accepté de répondre aux questions que Politique Internationale lui a transmises par l'intermédiaire de son avocat, qui lui rend visite une fois par semaine. Ce sont les réponses d'un militant, celles d'un homme qui veut préparer son retour sur la scène politique et s'attend à reprendre, un jour ou l'autre, des fonctions officielles.
A. M. Aude Marcovitch - Vous êtes incarcéré depuis 2002. Que vous ont appris ces années de détention ? Vos opinions politiques ont-elles évolué au cours de cette période ?
Marwan Barghouti - La prison est le pire des endroits où vivre pour un être humain. La situation est encore pire lorsqu'il s'agit d'une prison du pouvoir d'occupation israélien. Les conditions de détention et les interrogatoires sont extrêmement durs et cruels. Je suis passé par une expérience très difficile de confinement solitaire pendant de longues années. Malgré tout, la prison m'a permis de m'engager dans la méditation et la réflexion sur les choses de ce monde. J'ai pu réfléchir en profondeur à beaucoup de sujets. J'ai fini par répondre à certaines de mes interrogations ; d'autres demandent davantage de temps ; d'autres encore n'ont sans doute pas de solution. J'ai aussi lu des centaines de livres et de romans, de différentes cultures et en différentes langues, et j'ai approfondi ma compréhension de la nature de l'occupation.
Fondamentalement, mes opinions n'ont pas changé suite à mon emprisonnement. Je crois toujours au droit du peuple palestinien à résister à l'occupation militaire et coloniale israélienne en accord avec le droit international. De même, je demeure convaincu que l'occupation israélienne n'a pas d'avenir dans les territoires palestiniens occupés en 1967 et que l'établissement de l'État de Palestine sur les frontières de 1967 est la seule solution.
A. M. - Vous êtes le prisonnier palestinien auquel on prête le plus d'attention. Et, du côté israélien comme du côté palestinien, on vous présente souvent comme le prochain président de la Palestine. Quels sentiments cette situation vous inspire-t-elle ?
M. B. - Je suis fier d'être le dirigeant palestinien le plus populaire, selon des sondages réalisés par différents instituts sérieux et transparents. Cette popularité prouve l'échec du gouvernement israélien qui a cherché, à travers mon arrestation et un procès illégitime, à réduire au silence ma voix - une voix qui rejette l'occupation et prône la liberté, l'indépendance et le droit au retour des réfugiés. Quant à la prochaine personne qui assumera les fonctions de président palestinien, le choix devra être fait par le peuple à travers des élections libres et démocratiques. Ce qui m'importe vraiment, c'est que ma patrie soit un État souverain ; la question de la présidence peut être examinée plus tard.
A. M. - Vous avez longtemps été l'un des Palestiniens les plus recherchés par les services de sécurité israéliens. Or, désormais, l'idée de vous voir devenir le chef du futur État palestinien paraît acceptable. Comment l'expliquez-vous ?
M. B. - Cette évolution prouve à la fois l'échec d'Israël, qui a voulu me présenter comme un criminel infréquentable, et le soutien du peuple palestinien à ses combattants de la liberté et de l'indépendance. Le peuple palestinien traite un chef honnête et loyal d'une façon spéciale, et je suis fier d'avoir toujours bénéficié de son appui.
Je ne suis pas le premier leader d'un mouvement de libération nationale à subir la répression d'un pouvoir colonial. Ben Bella …
Côté palestinien, la vieille garde politique venue de l'extérieur est jugée avec suspicion et accusée de corruption. Sur le terrain, la situation n'évolue guère : la construction de colonies israéliennes dans les territoires palestiniens continue ; les militaires israéliens sillonnent toujours les routes de Cisjordanie ; et les barrages n'ont pas disparu. En outre, une partie des dirigeants palestiniens n'ont pas abandonné l'idée de fonder un État sur tout le territoire de la Palestine mandataire, Israël inclus.
Côté israélien, l'ère du changement déçoit tout autant. Les attentats continuent pendant toute la période qui suit Oslo. Il est également difficile pour nombre de citoyens - dont le jeune Yigal Amir, qui assassine Yitzhak Rabin en 1995 - d'abandonner l'idée du « grand Israël » et de renoncer à la Judée et à la Samarie historiques.
En 2000, Israël retire ses troupes du sud du Liban. Ce geste, perçu dans le monde arabe comme une victoire de la lutte armée du Hezbollah, donne des idées à la rue palestinienne. Enfin, les négociations israélo-palestiniennes patinent : à l'été 2000, la rencontre entre Ehud Barak et Yasser Arafat à Camp David, sous les auspices de Bill Clinton, est un cuisant échec.
C'est dans cette atmosphère délétère que naît la deuxième Intifada qui offrira à Marwan Barghouti ses heures de gloire. Ce théoricien bardé de diplômes, qui a étudié l'histoire et les sciences politiques et dont le rôle, jusqu'alors, avait été surtout politique, va cette fois franchir le pas et se plonger dans l'organisation de la lutte armée, y compris sur le sol israélien. Devenu chef des Tanzim (la branche combattante du Fatah), il dirigera également les activités des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, un nouveau groupe issu du Fatah et responsable de plusieurs attentats suicides en Israël, notamment contre des civils. Comme le dévoilera le procès de Marwan Barghouti, l'argent qui finance les actions des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa provient de différentes sources, dont l'Autorité palestinienne. Les Israéliens retrouveront des documents autorisant le versement de certains fonds aux Brigades portant la signature de Yasser Arafat lui-même.
Barghouti devient l'un des leaders palestiniens les plus recherchés par les Israéliens. Mais, contrairement à d'autres, comme le cheikh Ahmed Yassine, il échappera à l'assassinat ciblé et sera finalement arrêté en 2002. Son interpellation puis son jugement en 2004 donnent à penser que l'homme - dont la popularité s'est accrue parmi ses compatriotes et qui a la particularité d'être pragmatique - a été préservé afin qu'il puisse revenir, plus tard, sur la scène politique en tant qu'interlocuteur acceptable aux yeux des Israéliens.
Condamné en 2004 à cinq peines de prison à perpétuité pour l'assassinat de cinq personnes par l'intermédiaire d'un groupe armé lors de trois attentats, Marwan Barghouti refuse de se défendre pendant son procès, affirmant qu'il ne reconnaît pas la légitimité des tribunaux israéliens.
Incarcéré à l'établissement pénitentiaire de Hadarim, au nord de Tel-Aviv, il continue de faire parler de lui. En prison, il a mené une grève de la faim pour se plaindre des conditions de détention ; il a lancé en 2006, avec cinq autres représentants des différents courants politiques palestiniens (y compris le Hamas et le Jihad islamique), le « Document des prisonniers » - un texte qui appelle à la création d'un État de Palestine dans les frontières de 1967, et reconnaît donc implicitement Israël (1). Enfin, en août dernier, Marwan Barghouti a été élu au Comité central du Fatah (l'instance exécutive du parti, qui compte 21 membres).
Pour de nombreux observateurs, ce prisonnier remuant pourrait bien devenir le prochain président palestinien (l'élection devrait avoir lieu en janvier de l'année prochaine). S'il est issu du Fatah, il connaît de près les dirigeants du Hamas et semble jouir d'une grande popularité auprès de l'ensemble des Palestiniens, popularité qui n'a cessé de se renforcer depuis son incarcération. Selon un récent sondage, si une élection présidentielle avait lieu rapidement, il l'emporterait largement face à Ismaël Haniyeh, le leader du Hamas.
En effet, malgré ses cinq condamnations à perpétuité, la porte de la prison ne s'est pas définitivement refermée sur Marwan Barghouti. Il figure en bonne place sur la liste des prisonniers palestiniens qui pourraient être échangés contre la libération du soldat israélien Gilad Shalit, enlevé en 2006 par le Hamas. Par l'intermédiaire de l'Égypte, Israël et le Hamas discutent depuis plusieurs années des clauses d'un tel scénario ; mais l'accord piétine. Il n'empêche que les deux parties n'ont pas d'autre choix que de trouver un terrain d'entente et les navettes des représentants israéliens et palestiniens entre Jérusalem et Le Caire, et entre Gaza et Le Caire, continuent inlassablement.
L'entretien que vous allez découvrir est un texte rare. Marwan Barghouti a accepté de répondre aux questions que Politique Internationale lui a transmises par l'intermédiaire de son avocat, qui lui rend visite une fois par semaine. Ce sont les réponses d'un militant, celles d'un homme qui veut préparer son retour sur la scène politique et s'attend à reprendre, un jour ou l'autre, des fonctions officielles.
A. M. Aude Marcovitch - Vous êtes incarcéré depuis 2002. Que vous ont appris ces années de détention ? Vos opinions politiques ont-elles évolué au cours de cette période ?
Marwan Barghouti - La prison est le pire des endroits où vivre pour un être humain. La situation est encore pire lorsqu'il s'agit d'une prison du pouvoir d'occupation israélien. Les conditions de détention et les interrogatoires sont extrêmement durs et cruels. Je suis passé par une expérience très difficile de confinement solitaire pendant de longues années. Malgré tout, la prison m'a permis de m'engager dans la méditation et la réflexion sur les choses de ce monde. J'ai pu réfléchir en profondeur à beaucoup de sujets. J'ai fini par répondre à certaines de mes interrogations ; d'autres demandent davantage de temps ; d'autres encore n'ont sans doute pas de solution. J'ai aussi lu des centaines de livres et de romans, de différentes cultures et en différentes langues, et j'ai approfondi ma compréhension de la nature de l'occupation.
Fondamentalement, mes opinions n'ont pas changé suite à mon emprisonnement. Je crois toujours au droit du peuple palestinien à résister à l'occupation militaire et coloniale israélienne en accord avec le droit international. De même, je demeure convaincu que l'occupation israélienne n'a pas d'avenir dans les territoires palestiniens occupés en 1967 et que l'établissement de l'État de Palestine sur les frontières de 1967 est la seule solution.
A. M. - Vous êtes le prisonnier palestinien auquel on prête le plus d'attention. Et, du côté israélien comme du côté palestinien, on vous présente souvent comme le prochain président de la Palestine. Quels sentiments cette situation vous inspire-t-elle ?
M. B. - Je suis fier d'être le dirigeant palestinien le plus populaire, selon des sondages réalisés par différents instituts sérieux et transparents. Cette popularité prouve l'échec du gouvernement israélien qui a cherché, à travers mon arrestation et un procès illégitime, à réduire au silence ma voix - une voix qui rejette l'occupation et prône la liberté, l'indépendance et le droit au retour des réfugiés. Quant à la prochaine personne qui assumera les fonctions de président palestinien, le choix devra être fait par le peuple à travers des élections libres et démocratiques. Ce qui m'importe vraiment, c'est que ma patrie soit un État souverain ; la question de la présidence peut être examinée plus tard.
A. M. - Vous avez longtemps été l'un des Palestiniens les plus recherchés par les services de sécurité israéliens. Or, désormais, l'idée de vous voir devenir le chef du futur État palestinien paraît acceptable. Comment l'expliquez-vous ?
M. B. - Cette évolution prouve à la fois l'échec d'Israël, qui a voulu me présenter comme un criminel infréquentable, et le soutien du peuple palestinien à ses combattants de la liberté et de l'indépendance. Le peuple palestinien traite un chef honnête et loyal d'une façon spéciale, et je suis fier d'avoir toujours bénéficié de son appui.
Je ne suis pas le premier leader d'un mouvement de libération nationale à subir la répression d'un pouvoir colonial. Ben Bella …
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