Calé dans le grand canapé blanc qui trône en face de son bureau présidentiel, Asif Ali Zardari, 54 ans, arbore une fine moustache et un large sourire. Quel destin singulier pour cet homme qui, il y a encore cinq ans, purgeait une peine de prison pour corruption ! « Complot », répondent ses proches. Dans son ouvrage, Réconciliation, publié quelques mois avant sa mort, sa femme, Benazir Bhutto, accusait même à mots couverts l'ISI, les services de renseignement pakistanais, d'avoir voulu salir la réputation de son mari pour l'écarter de la vie politique.Asif Ali Zardari affiche une sérénité étonnante au regard des difficultés qui accablent son pays. Certes, l'armée pakistanaise a marqué des points contre les talibans dans la vallée de Swat l'été dernier. Et, le 5 août, Baitullah Mehsud, le chef du Tehrik-e-Taliban, le mouvement des talibans pakistanais, a été tué par un drone américain. Mais les réseaux de financement et d'approvisionnement en armes n'ont pas été démantelés pour autant. Les combattants islamistes contrôlent toujours les zones tribales, une région semi-autonome située à la frontière afghane, qui leur sert de base arrière pour attaquer les troupes de l'Otan en Afghanistan et préparer des attentats au Pakistan. Les États-Unis demandent instamment à Islamabad de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser cette menace.
En guise de réponse, Asif Ali Zardari réclame une aide militaire et financière accrue. Le Pakistan doit, en effet, faire face à une grave crise économique. Les prix des produits de base comme le sucre, le gaz, l'essence ou le pain explosent, fragilisant une population dont le salaire moyen ne dépasse pas 70 euros par mois. En novembre 2008, Islamabad a demandé l'aide du FMI qui, en août 2009, a fini par débloquer 11,3 milliards de dollars de crédits. Une somme insuffisante pour remettre l'économie pakistanaise sur les rails. Au cours de l'été 2009, plus de la moitié de la population vivait 8 heures par jour sans électricité, ce qui pénalise l'activité industrielle et tertiaire. L'agriculture - qui représente 20 % du PIB et emploie 43 % de la population active - n'est pas en meilleur état : faute de réforme agraire et d'investissements, elle reste sous-développée et concentrée entre les mains de grands propriétaires terriens.
Quant au processus de paix avec l'Inde, il demeure balbutiant. Depuis les attentats de Bombay, qui ont fait près de 170 morts en novembre 2008, la méfiance est à son comble entre les deux pays. L'Inde reproche au Pakistan de ne pas lutter sérieusement contre le terrorisme tandis que le Pakistan accuse son voisin de soutenir l'insurrection séparatiste au Baloutchistan et, même, d'aider les talibans pakistanais.
Crédité d'une cote de popularité de 9 % selon un sondage Gallup publié par la chaîne Al Jazeera le 10 août, Asif Ali Zardari est, à l'évidence, un homme contesté - y compris au sein de son propre parti où certains mettent en doute ses compétences. Saura-t-il relever tous ces défis ?
Dans une interview exclusive accordée à Politique Internationale, le président Zardari répond.
E. D. Emmanuel Derville - Monsieur le Président, accusé de corruption et de meurtre, vous avez passé onze ans en prison avant d'être libéré en 2004, sans jamais avoir été condamné. Quel regard portez-vous sur cette période et qu'avez-vous appris sur vous-même durant toutes ces années ?
Asif Ali Zardari - Je me suis toujours considéré comme un prisonnier politique et non comme un criminel. Mon séjour en prison m'a permis de découvrir au fond de moi une force intérieure que je ne soupçonnais pas. Pendant ces onze années, je n'ai jamais perdu espoir. Je savais qu'un jour ou l'autre mon parti - le Parti du peuple pakistanais (PPP) - reviendrait au pouvoir.
E. D. - À quelles conditions le Pakistan pourrait-il enfin sceller un accord de paix avec l'Inde ?
A. A. Z. - Comme vous le savez, c'est ma femme, Benazir Bhutto, qui a initié le processus de paix avec New Delhi. L'ancien premier ministre indien Rajiv Gandhi était venu la rencontrer au Pakistan en 1988, lorsqu'elle était elle-même premier ministre. C'était une première à l'époque. À part Nehru, aucun chef d'État indien n'avait foulé le sol pakistanais. Le PPP est convaincu depuis longtemps de la nécessité d'entamer des négociations de paix avec l'Inde. Mais si l'on veut parvenir à un accord, il est clair qu'il faut privilégier une approche régionale. Benazir soutenait le développement de la Saarc, la South Asia Association for Regional Cooperation (1). Elle en avait d'ailleurs présidé le premier sommet et elle voulait créer une union économique sud-asiatique, sur le modèle de l'Union européenne, afin de faciliter les échanges commerciaux. Cette idée qu'elle nous a laissée en héritage, je compte la mettre en oeuvre.
E. D. - Il reste malgré tout un long chemin à parcourir avant d'établir une relation de confiance entre vos deux pays. Le Pakistan reproche à l'Inde de ne pas avoir réduit le niveau de ses troupes à la frontière, d'infiltrer des agents de renseignement dans le sud de l'Afghanistan et de soutenir l'insurrection séparatiste au Baloutchistan... De son côté, l'Inde accuse le Pakistan d'héberger des mouvements terroristes et d'aider les groupes armés qui combattent les forces indiennes au Cachemire...
A. A. Z. - Vous avez raison, la confiance est loin d'être établie. En ce qui concerne le Baloutchistan, les choses ne sont pas aussi claires que vous le dites. Ceux qui représentent ou qui prétendent représenter les Baloutches (2) se prévalent du soutien de divers pays. Et parmi ces pays, l'Inde a été citée. Mais vous comprendrez bien que, dans le contexte actuel, au moment où nous mettons en place un processus de paix avec New Delhi, je ne souhaite pas commenter ce type d'information.
Cela dit, je suis optimiste quant à la poursuite des négociations. L'Inde, tout comme le Pakistan, sait qu'elle doit parvenir à un accord et développer ses relations économiques avec nous si elle aspire à devenir une grande puissance (3). Même si l'économie indienne connaît une forte croissance, une grande partie de sa population vit encore dans …
En guise de réponse, Asif Ali Zardari réclame une aide militaire et financière accrue. Le Pakistan doit, en effet, faire face à une grave crise économique. Les prix des produits de base comme le sucre, le gaz, l'essence ou le pain explosent, fragilisant une population dont le salaire moyen ne dépasse pas 70 euros par mois. En novembre 2008, Islamabad a demandé l'aide du FMI qui, en août 2009, a fini par débloquer 11,3 milliards de dollars de crédits. Une somme insuffisante pour remettre l'économie pakistanaise sur les rails. Au cours de l'été 2009, plus de la moitié de la population vivait 8 heures par jour sans électricité, ce qui pénalise l'activité industrielle et tertiaire. L'agriculture - qui représente 20 % du PIB et emploie 43 % de la population active - n'est pas en meilleur état : faute de réforme agraire et d'investissements, elle reste sous-développée et concentrée entre les mains de grands propriétaires terriens.
Quant au processus de paix avec l'Inde, il demeure balbutiant. Depuis les attentats de Bombay, qui ont fait près de 170 morts en novembre 2008, la méfiance est à son comble entre les deux pays. L'Inde reproche au Pakistan de ne pas lutter sérieusement contre le terrorisme tandis que le Pakistan accuse son voisin de soutenir l'insurrection séparatiste au Baloutchistan et, même, d'aider les talibans pakistanais.
Crédité d'une cote de popularité de 9 % selon un sondage Gallup publié par la chaîne Al Jazeera le 10 août, Asif Ali Zardari est, à l'évidence, un homme contesté - y compris au sein de son propre parti où certains mettent en doute ses compétences. Saura-t-il relever tous ces défis ?
Dans une interview exclusive accordée à Politique Internationale, le président Zardari répond.
E. D. Emmanuel Derville - Monsieur le Président, accusé de corruption et de meurtre, vous avez passé onze ans en prison avant d'être libéré en 2004, sans jamais avoir été condamné. Quel regard portez-vous sur cette période et qu'avez-vous appris sur vous-même durant toutes ces années ?
Asif Ali Zardari - Je me suis toujours considéré comme un prisonnier politique et non comme un criminel. Mon séjour en prison m'a permis de découvrir au fond de moi une force intérieure que je ne soupçonnais pas. Pendant ces onze années, je n'ai jamais perdu espoir. Je savais qu'un jour ou l'autre mon parti - le Parti du peuple pakistanais (PPP) - reviendrait au pouvoir.
E. D. - À quelles conditions le Pakistan pourrait-il enfin sceller un accord de paix avec l'Inde ?
A. A. Z. - Comme vous le savez, c'est ma femme, Benazir Bhutto, qui a initié le processus de paix avec New Delhi. L'ancien premier ministre indien Rajiv Gandhi était venu la rencontrer au Pakistan en 1988, lorsqu'elle était elle-même premier ministre. C'était une première à l'époque. À part Nehru, aucun chef d'État indien n'avait foulé le sol pakistanais. Le PPP est convaincu depuis longtemps de la nécessité d'entamer des négociations de paix avec l'Inde. Mais si l'on veut parvenir à un accord, il est clair qu'il faut privilégier une approche régionale. Benazir soutenait le développement de la Saarc, la South Asia Association for Regional Cooperation (1). Elle en avait d'ailleurs présidé le premier sommet et elle voulait créer une union économique sud-asiatique, sur le modèle de l'Union européenne, afin de faciliter les échanges commerciaux. Cette idée qu'elle nous a laissée en héritage, je compte la mettre en oeuvre.
E. D. - Il reste malgré tout un long chemin à parcourir avant d'établir une relation de confiance entre vos deux pays. Le Pakistan reproche à l'Inde de ne pas avoir réduit le niveau de ses troupes à la frontière, d'infiltrer des agents de renseignement dans le sud de l'Afghanistan et de soutenir l'insurrection séparatiste au Baloutchistan... De son côté, l'Inde accuse le Pakistan d'héberger des mouvements terroristes et d'aider les groupes armés qui combattent les forces indiennes au Cachemire...
A. A. Z. - Vous avez raison, la confiance est loin d'être établie. En ce qui concerne le Baloutchistan, les choses ne sont pas aussi claires que vous le dites. Ceux qui représentent ou qui prétendent représenter les Baloutches (2) se prévalent du soutien de divers pays. Et parmi ces pays, l'Inde a été citée. Mais vous comprendrez bien que, dans le contexte actuel, au moment où nous mettons en place un processus de paix avec New Delhi, je ne souhaite pas commenter ce type d'information.
Cela dit, je suis optimiste quant à la poursuite des négociations. L'Inde, tout comme le Pakistan, sait qu'elle doit parvenir à un accord et développer ses relations économiques avec nous si elle aspire à devenir une grande puissance (3). Même si l'économie indienne connaît une forte croissance, une grande partie de sa population vit encore dans …
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