Les Grands de ce monde s'expriment dans

POUR L'AMOUR DE LA GUINEE

Jusque-là inconnu du grand public, le capitaine Moussa Dadis Camara, 44 ans, s'est emparé du pouvoir quelques heures après le décès, le 22 décembre 2008, du président Lansana Conté, qui régnait sans partage sur la république de Guinée depuis vingt-quatre ans. Choisi par les putschistes pour prendre la tête de la junte, il se proclame président dès le lendemain. Son arrivée inattendue au sommet de l'État soulève un grand espoir dans la population, d'autant que son discours tranche avec celui de son prédécesseur. Lutte contre la corruption, modestie, probité : tels sont les maîtres mots d'une pratique politique rénovée dont les Guinéens n'ont guère l'habitude. Son style de gouvernement rappelle certains exemples africains, comme ceux d'Amadou Toumani Touré (2) et Thomas Sankara (3). Mais là s'arrête la comparaison. Moussa Dadis Camara ne cherche pas à reproduire un modèle extérieur. Sa détermination, la fierté qu'il éprouve à diriger ce pays qu'il aime tant, sa volonté sincère de répondre aux besoins de ses concitoyens (notamment aux problèmes d'eau et d'électricité qui sont récurrents à Conakry), son parcours atypique, font de lui un cas à part.
Après des études de droit et d'économie qui le prédestinaient à une carrière de banquier, il intègre l'armée. Très vite, il gravit les échelons jusqu'à devenir directeur général des hydrocarbures. À l'écoute de la troupe, il fait partie de ces jeunes officiers qui critiquent la gestion calamiteuse du président Conté et déplorent l'incapacité du régime à éradiquer la pauvreté. Rêvant de refonder une république sur des bases plus justes, il en vient peu à peu à incarner l'espoir d'une Guinée nouvelle. Les soldats n'oublient pas le rôle qu'il a tenu auprès d'eux, en 2007, lorsqu'ils s'étaient soulevés pour protester contre les retards dans le paiement de leur solde.
Néanmoins, depuis un an, la tension politique reste vive. Camara doit à la fois tenir ses engagements de justice sociale et veiller à la régularité du scrutin présidentiel prévu pour le 31 janvier 2010. Dans un premier temps, il avait renoncé à se porter candidat. Mais le désir de se voir légitimé par le suffrage universel et, surtout, la possibilité d'inscrire son action dans la durée l'ont convaincu de sauter le pas.
Au cours de cette conversation à bâtons rompus, le capitaine Moussa Dadis Camara évoque la Guinée, mais également sa vie, son enfance, sa jeunesse, ses rêves, ses espoirs. Un entretien rare et passionnant.
Pa. D. Pascal Drouhaud - Monsieur le Président, quelles sont vos racines ?
Moussa Dadis Camara - Je viens d'une famille originaire de la région de Nzérékoré ; du village de Kouré pour être plus précis. C'est mon grand-père qui l'avait fondé. À l'époque, dans les années 1930-1940, il y avait encore des rois de village. Les enfants d'un roi veillaient sur lui ; c'est ce qu'a fait mon père. Il n'est pas allé à l'école. C'était un homme rigoureux, honnête et très généreux, dont l'exemple continue de m'inspirer aujourd'hui.
Quand mon grand-père est mort, les blancs sont arrivés. Comme il était jeune et en bonne forme, mon père s'est alors engagé dans la marine. Il s'est battu chez vous, en France, au sein des forces françaises libres. À son retour, il est rentré au village ; mais il n'était plus le même homme ; il avait voyagé. Bien qu'il fût sans éducation, il avait pu connaître d'autres cultures, visiter d'autres continents. Il a été l'un des membres fondateurs du PDG, le parti démocratique de Guinée. C'était l'époque des combats politiques avec Sékou Touré, dans les années 1950.
Après l'indépendance (4), les ministres, les secrétaires d'État, les gouverneurs venaient souvent rendre visite à mon père. Vous savez, je suis né dans une case. Et pourtant, je n'étais pas impressionné par les belles villas des dignitaires du régime dont je fréquentais les enfants quand je venais à Conakry. Les jeunes que j'ai connus à cette époque - les Moussa Diakité, Kira Kéré, Mamadou Siagnio - m'ont permis de vivre une forme de brassage social. Certains sont même devenus membres de mon gouvernement ! Comme quoi les amitiés d'enfance survivent au passage des ans.
Pa. D. - Il est vrai que les épreuves se sont chargées de resserrer ces liens...
M. D. C. - C'est exact. En 1970, les pères de mes amis ont été arrêtés. Sékou Touré a prétendu qu'ils faisaient partie de la cinquième colonne (5), un terme qu'utilisait le régime pour dénoncer un complot interne. La plupart ont été incarcérés dans le sinistre Camp Boiro Mamadou où ils ont été liquidés par la suite. Mon propre père a été emprisonné. Mais sa chance a été de ne pas avoir eu de diplôme. Sékou Touré aurait dit, en parlant de lui, qu'un analphabète ne pouvait pas comploter contre le régime ! Il ne pouvait pas croire que mon père, du fond de son village dans la forêt de Nzérékoré, ait pu participer à la création du PDG. Finalement, il a été libéré. Je me dis que s'il avait fait des études, il aurait sans doute été tué comme les autres. Après mon accession au pouvoir (6), j'ai demandé pardon au peuple guinéen pour tous ces crimes.
Pa. D. - Comment avez-vous vécu la disparition de Sékou Touré (7) ?
M. D. C. - La mort de Sékou Touré, en 1984, a été un choc pour tous les Guinéens. J'avais vingt ans à l'époque. Je faisais des études de sciences économiques et finances. …