Brigitte Adès - Certains pays émergents qui ont connu une croissance record n'ont pas su prendre en compte les conséquences sanitaires et sociales du modèle industriel productiviste. Comment établir un meilleur équilibre ?
Amartya Sen - Il s'agit tout d'abord de comprendre que le développement ne se résume pas à la simple croissance économique. Le développement consiste aussi à accroître le bien-être des gens et à élargir le champ de leur liberté. C'est ce qu'on appelle le développement humain. Et l'on risque de passer à côté de cet objectif si l'on garde l'oeil rivé sur les seuls indicateurs chiffrés du PIB et du revenu national.
Second point que je voudrais souligner : le développement humain peut être rapide même en cas de croissance lente. Des politiques sociales adaptées - en matière de santé, d'éducation, d'environnement - contribuent à améliorer considérablement la qualité de vie des gens, y compris dans un contexte de croissance faible. Ce type de mesure n'est pas hors de portée pour les pays pauvres, au contraire. La mise en place de services sociaux nécessite beaucoup de personnel. Or ces pays possèdent une main-d'oeuvre abondante et bon marché. La Chine, l'État du Kérala en Inde, le Costa Rica, pour ne citer que ceux-là, se sont dotés de systèmes d'enseignement et de soins performants bien avant de prendre leur envol sur le plan économique. Il serait faux de penser que sans la croissance il n'y a pas de développement humain possible.
B. A. - Selon vous, peut-on concilier croissance durable et développement humain ? Et quel rôle les gouvernements des pays émergents peuvent-ils jouer dans la recherche de cet équilibre ?
A. S. - Tout dépend de ce que les gouvernements font de la croissance. Certains prétendent qu'il ne faut rien faire et qu'il suffit d'attendre. Il est vrai qu'avec la croissance les gens voient leur revenus augmenter, ce qui mécaniquement a pour effet de créer de nouveaux besoins en termes de développement humain. Cet effet est cependant limité pour deux raisons : 1) les hausses de revenus ne concernent que certaines catégories de la population et 2) il n'y a pas de lien direct entre l'augmentation des revenus privés et la demande en équipements sociaux, comme les écoles ou les hôpitaux.
B. A. - Comment sortir de ce dilemme ?
A. S. - De deux manières : en réduisant les inégalités de revenus et, surtout, en décidant, par des politiques volontaristes, d'affecter les fruits de la croissance au développement humain. Il faut que l'État utilise les ressources générées par la croissance pour construire des hôpitaux, améliorer les services médicaux, augmenter le budget de la santé, développer les écoles, les universités et les transports publics (les chemins de fer et les routes). Habituellement, dans une économie moderne, la croissance permet de remplir plus vite les caisses de l'État qu'elle n'augmente le revenu national. En Inde, par exemple, quand le taux de croissance atteignait 6, 7, 8 ou 9 % par an, les recettes publiques augmentaient de 8, 9, 10 …
Amartya Sen - Il s'agit tout d'abord de comprendre que le développement ne se résume pas à la simple croissance économique. Le développement consiste aussi à accroître le bien-être des gens et à élargir le champ de leur liberté. C'est ce qu'on appelle le développement humain. Et l'on risque de passer à côté de cet objectif si l'on garde l'oeil rivé sur les seuls indicateurs chiffrés du PIB et du revenu national.
Second point que je voudrais souligner : le développement humain peut être rapide même en cas de croissance lente. Des politiques sociales adaptées - en matière de santé, d'éducation, d'environnement - contribuent à améliorer considérablement la qualité de vie des gens, y compris dans un contexte de croissance faible. Ce type de mesure n'est pas hors de portée pour les pays pauvres, au contraire. La mise en place de services sociaux nécessite beaucoup de personnel. Or ces pays possèdent une main-d'oeuvre abondante et bon marché. La Chine, l'État du Kérala en Inde, le Costa Rica, pour ne citer que ceux-là, se sont dotés de systèmes d'enseignement et de soins performants bien avant de prendre leur envol sur le plan économique. Il serait faux de penser que sans la croissance il n'y a pas de développement humain possible.
B. A. - Selon vous, peut-on concilier croissance durable et développement humain ? Et quel rôle les gouvernements des pays émergents peuvent-ils jouer dans la recherche de cet équilibre ?
A. S. - Tout dépend de ce que les gouvernements font de la croissance. Certains prétendent qu'il ne faut rien faire et qu'il suffit d'attendre. Il est vrai qu'avec la croissance les gens voient leur revenus augmenter, ce qui mécaniquement a pour effet de créer de nouveaux besoins en termes de développement humain. Cet effet est cependant limité pour deux raisons : 1) les hausses de revenus ne concernent que certaines catégories de la population et 2) il n'y a pas de lien direct entre l'augmentation des revenus privés et la demande en équipements sociaux, comme les écoles ou les hôpitaux.
B. A. - Comment sortir de ce dilemme ?
A. S. - De deux manières : en réduisant les inégalités de revenus et, surtout, en décidant, par des politiques volontaristes, d'affecter les fruits de la croissance au développement humain. Il faut que l'État utilise les ressources générées par la croissance pour construire des hôpitaux, améliorer les services médicaux, augmenter le budget de la santé, développer les écoles, les universités et les transports publics (les chemins de fer et les routes). Habituellement, dans une économie moderne, la croissance permet de remplir plus vite les caisses de l'État qu'elle n'augmente le revenu national. En Inde, par exemple, quand le taux de croissance atteignait 6, 7, 8 ou 9 % par an, les recettes publiques augmentaient de 8, 9, 10 …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
J'ai déjà un compte
M'inscrire
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :
- Historiques de commandes
- Liens vers les revues, articles ou entretiens achetés
- Informations personnelles