Les Grands de ce monde s'expriment dans

BUDAPEST-UNION EUROPEENNE : LE TEMPS DES MALENTENDUS

Le 25 avril 2010, à l'issue du second tour des élections législatives, le parti Fidesz (Union civique nationale) et ses alliés du KPND (démocrates-chrétiens) enregistrent la plus importante victoire électorale de l'histoire de la Hongrie post-communiste. Avec près de 53 % des suffrages, cette coalition conduite par le président du Fidesz Viktor Orban rafle plus des deux tiers des sièges à la Chambre des députés, seul organe législatif du pays. Ce scrutin est également marqué par la montée en puissance d'un parti d'extrême droite, le Jobbik, qui obtient 16 % des voix et 47 sièges au Parlement.C'est une défaite sans appel pour le MszP (Parti socialiste hongrois) qui était au pouvoir depuis 2002. Cette débâcle s'explique par la politique économique erratique des gouvernements dirigés, entre 2002 et 2009, par le leader socialiste Ferenc Gyurcsany : l'État et les ménages hongrois se sont fortement endettés en euros en empruntant sur les marchés financiers européens, ce qui a déchaîné la spéculation contre la monnaie nationale - le forint - et précipité le pays au bord de la faillite en 2008. Le gouvernement de Ferenc Gyurcsany est acculé à la démission. Il est alors remplacé, au printemps 2009, par un gouvernement de « techniciens » dirigé par Gordon Bajnai. Celui-ci négocie le sauvetage de l'économie hongroise avec le FMI et l'Union européenne, et prend les premières mesures d'austérité budgétaire exigées par les organismes prêteurs : réduction des salaires et des pensions, coupes drastiques dans les budgets sociaux. Viktor Orban, 48 ans, a déjà un long passé politique derrière lui. Fondateur en 1988 du mouvement de jeunesse du parti libéral, il se sépare de ce parti, trop progressiste à son goût, pour fonder le Fidesz, un parti conservateur qui adhère au Parti populaire européen. Il devient premier ministre à 35 ans, en 1998, à la suite de la victoire électorale de l'alliance des droites conduite par le Fidesz. Mais le coût social des mesures de libéralisation et des privatisations massives conduites au cours de cette législature a pour conséquence le retour de la gauche au pouvoir lors des élections de 2002. Huit années plus tard, Viktor Orban ne considère pas son nouveau mandat à la tête du gouvernement hongrois comme une alternance démocratique ordinaire : pour lui, il s'agit d'une « révolution par les urnes », l'ampleur de sa victoire l'investissant d'une mission de transformation en profondeur des institutions et de la législation du pays. Les premières mesures du gouvernement Orban provoquent des réactions mitigées, sinon plus, dans une partie de l'opinion hongroise et à l'étranger. La nouvelle loi sur la presse est vivement critiquée dans les milieux intellectuels et parmi les professionnels des médias : l'obligation faite aux organes de presse de procéder à un « traitement équilibré » de l'actualité politique sous peine de fortes amendes ainsi que la création d'un Conseil des médias, doté d'un pouvoir de sanction et uniquement composé de fidèles de Viktor Orban, sont considérées comme un sévère recul des libertés fondamentales. Cette loi sera amendée sous la pression de la Commission européenne, peu après que la Hongrie eut accédé le 1er janvier 2011 à la présidence tournante de l'Union européenne. Autre sujet de friction : la réforme de la loi sur la nationalité. La possibilité, pour les Magyars citoyens d'un pays étranger, d'obtenir la nationalité hongroise a été accueillie avec une certaine hostilité dans les pays limitrophes qui abritent d'importantes minorités hongroises (Roumanie, Serbie, Slovaquie). Si ces deux premiers pays n'ont pas manifesté publiquement leur réprobation (il est vrai que Bucarest mène une politique similaire à l'égard des Moldaves roumanophones et Belgrade vis-à-vis des Serbes de Bosnie), la Slovaquie, elle, a vivement réagi : le premier ministre, Mme Iveta Radicova, a lancé un processus législatif visant à priver de leur nationalité les citoyens slovaques qui solliciteraient un passeport d'un pays n'ayant pas conclu de convention de bi-nationalité avec la Slovaquie - ce qui est le cas de la Hongrie... Enfin, fin avril 2011, le gouvernement, fort de sa majorité des deux tiers (majorité requise pour toute modification de la Loi fondamentale), a fait voter par le Parlement une nouvelle Constitution qui met l'accent sur l'appartenance de la Hongrie à l'« Europe chrétienne » et sur les valeurs traditionnelles de la nation magyare : fidélité, amour du travail, fierté nationale. Dans cet entretien exclusif, le ministre des Affaires étrangères, János Martonyi, revient sur tous les dossiers « chauds » de la diplomatie hongroise. L. R. Luc Rosenzweig - Monsieur le Ministre, en raison de votre expérience et de votre âge, vous faites figure, au sein du gouvernement de coalition dirigé par Viktor Orban, de « vétéran ». Pouvez-vous nous exposer brièvement votre philosophie politique ?
János Martonyi - Pour faire bref, disons que je suis partisan d'une politique fondée sur des valeurs. Dans mon domaine de compétence - la politique étrangère -, cela signifie qu'au-delà de la realpolitik éphémère et changeante je m'efforce de défendre à la fois les intérêts nationaux hongrois et les valeurs universelles : l'état de droit, les principes constitutionnels, les normes démocratiques, les droits de l'homme, y compris la défense des droits des minorités. Ce n'est pas une affaire de génération : mes collègues plus jeunes partagent mes convictions.
L. R. - La domination au Parlement de la coalition conduite par le Fidesz est écrasante. Vous disposez de la majorité des deux tiers permettant de modifier à votre gré la Constitution. Vos opposants et certains observateurs étrangers craignent une dérive autoritaire de la démocratie hongroise. Que leur répondez-vous ? Quelle est votre réaction lorsque le député européen Daniel Cohn-Bendit compare Viktor Orban à Hugo Chavez ?
J. M. - Notre majorité n'est pas « écrasante » ; elle résulte simplement du jeu démocratique et de la volonté des électeurs. J'ajoute que la montée des partis chrétiens conservateurs n'est pas un phénomène uniquement hongrois ; c'est une tendance de fond que l'on observe dans la plupart des pays européens. Quant au reproche qui nous est adressé d'avoir adopté une nouvelle Constitution (1) à notre seul profit, il est dénué de tout fondement. Cette Constitution a été élaborée au sein d'une commission ad hoc comprenant des juristes dignes de confiance, reconnus par leurs pairs dans toute l'Europe, et pas seulement des politiciens du Fidesz. Outre ces experts en droit constitutionnel, les citoyens ont pu exprimer leur opinion sur ce projet en remplissant le questionnaire qui a été adressé à tous les foyers du pays. Plus de 900 000 documents ont été retournés, et nous avons naturellement tenu compte des avis exprimés. Notre intérêt commun est de doter la Hongrie d'une Constitution consensuelle qui satisfasse le plus grand nombre. Quant à la comparaison entre Viktor Orban et Hugo Chavez, vous comprendrez que je ne sois pas très désireux de la commenter, même pour Politique Internationale ! Je ne tiens à porter un jugement ni sur la personne ni sur les propos de M. Cohn-Bendit...
L. R. - Le vote d'une loi contraignante sur la presse (2) a provoqué de vives réactions à l'étranger et déclenché une polémique au sein des institutions européennes lorsque la Hongrie a pris la présidence du Conseil européen le 1er janvier dernier. D'abord, pourquoi cette loi ?
J. M. - L'ancienne loi sur les médias avait été adoptée il y a quinze ans, dans une période encore toute proche de la chute du mur de Berlin. Elle était dépassée et il fallait la remplacer. Cette nouvelle loi prend en compte …