Thomas Hofnung - Il y a quelques semaines à peine, la France négociait avec la Libye pour lui vendre des Rafale. Fin mars, ce sont justement des Rafale - français - qui ont participé aux bombardements visant les forces du colonel Kadhafi. Comment un tel retournement a-t-il pu se produire ?
François Heisbourg - Une opinion répandue consiste à souligner les liens beaucoup trop étroits que Paris a entretenus ces dernières années avec la dictature de Mouammar Kadhafi. La France avait cru qu'elle pourrait valoriser ces relations en vendant à Tripoli des matériels divers et variés, y compris des avions de chasse. Mais quand la révolte libyenne a éclaté, Kadhafi, à la différence de ses voisins Ben Ali et Moubarak, a choisi de répondre aux contestataires par la force. Dès lors, de nombreuses voix ont reproché à la France de s'être rapprochée de lui au cours des années précédentes. Le revirement opéré à l'égard de la Libye en mars offrirait donc au gouvernement français l'occasion de « se racheter ».
Une telle analyse ne suffit pas. Elle doit s'effacer devant une approche plus stratégique, développée en 2008 dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Ce texte explique que, dans un monde globalisé, la sécurité internationale se caractérise par des « ruptures stratégiques » relativement brusques. C'est précisément à une rupture de ce type que nous venons d'assister. Par le passé, on pariait sur des transitions harmonieuses, comme celles de la Corée du Sud et de Taiwan, par exemple. Dans ces deux pays, la transition de la dictature à la démocratie s'est faite dans une relative douceur. Le monde actuel est davantage marqué par des bouleversements brutaux. C'est ce que nous observons actuellement dans le monde arabe. Et lorsqu'une telle rupture stratégique se produit, elle nécessite un changement profond des comportements. Il est donc normal que Paris ait radicalement modifié sa position vis-à-vis de Tripoli. C'est l'inverse qui aurait été anormal !
T. H. - L'histoire de la Libye de Kadhafi est celle d'une succession de zigzags : après sa prise de pouvoir en 1969, il jouit d'une bonne image en Occident et est reçu en grande pompe par la France pompidolienne. Les années 1980, à l'inverse, sont marquées par l'affaire tchadienne, par les bombardements américains puis par les attentats de Lockerbie et contre le DC10 d'UTA, qui entraînent sa mise au ban de la communauté internationale. Au début des années 2000, nouveau changement de décor : le colonel fait son grand retour au sein du concert des nations. On sait ce qu'il en est advenu...
F. H. - Certes. Mais derrière tout cela, il y a toujours une obsession unique : le pouvoir. Pendant 42 ans, ce ne sont jamais les intérêts nationaux qui ont commandé la politique étrangère et de sécurité de la Libye. L'unique préoccupation du président libyen était de conserver son pouvoir personnel. D'où les virages à 180 degrés qu'il a opérés sur la scène internationale. En plus des revirements que vous venez …
François Heisbourg - Une opinion répandue consiste à souligner les liens beaucoup trop étroits que Paris a entretenus ces dernières années avec la dictature de Mouammar Kadhafi. La France avait cru qu'elle pourrait valoriser ces relations en vendant à Tripoli des matériels divers et variés, y compris des avions de chasse. Mais quand la révolte libyenne a éclaté, Kadhafi, à la différence de ses voisins Ben Ali et Moubarak, a choisi de répondre aux contestataires par la force. Dès lors, de nombreuses voix ont reproché à la France de s'être rapprochée de lui au cours des années précédentes. Le revirement opéré à l'égard de la Libye en mars offrirait donc au gouvernement français l'occasion de « se racheter ».
Une telle analyse ne suffit pas. Elle doit s'effacer devant une approche plus stratégique, développée en 2008 dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Ce texte explique que, dans un monde globalisé, la sécurité internationale se caractérise par des « ruptures stratégiques » relativement brusques. C'est précisément à une rupture de ce type que nous venons d'assister. Par le passé, on pariait sur des transitions harmonieuses, comme celles de la Corée du Sud et de Taiwan, par exemple. Dans ces deux pays, la transition de la dictature à la démocratie s'est faite dans une relative douceur. Le monde actuel est davantage marqué par des bouleversements brutaux. C'est ce que nous observons actuellement dans le monde arabe. Et lorsqu'une telle rupture stratégique se produit, elle nécessite un changement profond des comportements. Il est donc normal que Paris ait radicalement modifié sa position vis-à-vis de Tripoli. C'est l'inverse qui aurait été anormal !
T. H. - L'histoire de la Libye de Kadhafi est celle d'une succession de zigzags : après sa prise de pouvoir en 1969, il jouit d'une bonne image en Occident et est reçu en grande pompe par la France pompidolienne. Les années 1980, à l'inverse, sont marquées par l'affaire tchadienne, par les bombardements américains puis par les attentats de Lockerbie et contre le DC10 d'UTA, qui entraînent sa mise au ban de la communauté internationale. Au début des années 2000, nouveau changement de décor : le colonel fait son grand retour au sein du concert des nations. On sait ce qu'il en est advenu...
F. H. - Certes. Mais derrière tout cela, il y a toujours une obsession unique : le pouvoir. Pendant 42 ans, ce ne sont jamais les intérêts nationaux qui ont commandé la politique étrangère et de sécurité de la Libye. L'unique préoccupation du président libyen était de conserver son pouvoir personnel. D'où les virages à 180 degrés qu'il a opérés sur la scène internationale. En plus des revirements que vous venez …
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