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LONDRES-PARIS : LA NOUVELLE ENTENTE CORDIALE

À Paris, le rapprochement signé le 2 novembre dernier entre les défenses britannique et française a, finalement, été assez peu commenté. Il s'agit pourtant d'un accord historique passé entre les deux pays qui comptent au niveau militaire en Europe. Concrètement, le traité prévoit une série de coopérations dans treize domaines - de la création d'une force expéditionnaire commune à la lutte contre la cybercriminalité en passant par les porte-avions et les drones. Il instaure surtout une coopération dans le domaine le plus sensible qui soit : celui de la dissuasion. En effet, le texte prévoit la création d'installations communes dans les deux pays pour « modéliser la performance » des têtes nucléaires. On l'aura compris : ce rapprochement entre les deux puissances nucléaires d'Europe, qui les engage sur plusieurs décennies, est un événement historique. Depuis les accords de Saint-Malo qui avaient, en 1998, relancé la défense européenne, la Grande-Bretagne et la France s'étaient pourtant opposées sur de nombreux projets. Face au refus des Britanniques, qui préfèrent traditionnellement l'efficacité de l'Otan au poids des institutions bruxelloises, la présidence française de l'Union européenne (second semestre 2008) avait même dû renoncer au principal de ces projets : la création d'un quartier général autonome pour l'Europe. C'est pourtant un gouvernement conservateur - et, donc, eurosceptique - qui, sous la houlette du premier ministre David Cameron et de son ministre de la Défense Liam Fox, a signé l'accord franco-britannique ! Le rapprochement a été favorisé par la crise économique et par les énormes restrictions budgétaires qu'elle a imposées aux secteurs de la défense des deux pays. Dans un tel contexte, Paris et Londres ont fait preuve du même pragmatisme et estimé qu'ils n'avaient d'autre choix que de s'allier pour pouvoir demeurer des puissances globales. Dans le domaine de la défense, les deux pays ont beaucoup en commun : des armées capables de se projeter à l'extérieur de leurs frontières et qui, à elles deux, représentent plus de 50 % des dépenses militaires de l'Europe. Mais, aussi, un même passé colonial, des visions stratégiques à peu près identiques et un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies qui leur confère des responsabilités particulières dans le monde. L'accord, souligne-t-on à Londres, a également été facilité par le retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan en 2009 - une initiative qui a permis de lever les soupçons de certains alliés de la France, régulièrement accusée de vouloir affaiblir l'Alliance atlantique. Au moment où l'Europe cesse d'apparaître comme une priorité pour les États-Unis de Barack Obama, la Grande-Bretagne, tout en restant fidèle à son lien privilégié avec son partenaire américain, estime qu'il lui est utile de diversifier ses attachements. Depuis le mois de novembre, des comités de travail se réunissent constamment entre Paris et Londres pour traduire dans la réalité ce rapprochement très prometteur. L'intervention militaire contre les forces de Kadhafi en Libye, décidée sous l'impulsion de la France et de la Grande-Bretagne, n'a fait que confirmer la proximité qui unit désormais Paris et Londres. Les États-Unis, qui regrettent si souvent de ne pas avoir d'alliés sérieux en matière de défense en Europe, les ont peut-être, cette fois, trouvés. I. L. Isabelle Lasserre - Monsieur Fox, vous êtes considéré comme le plus eurosceptique d'entre les eurosceptiques britanniques. Pourtant, c'est votre gouvernement qui a signé l'accord de défense franco-britannique en novembre dernier. Pourquoi ?
Liam Fox - Tout dépend de ce qu'on entend par « eurosceptique ». Ce que nous demandons, c'est que les relations de défense soient bilatérales, qu'elles soient organisées de gouvernement à gouvernement. Je n'ai rien contre la coopération en matière de défense en Europe. Je voudrais même qu'elle se développe ! Seulement, en Grande-Bretagne, nous ne voulons pas voir ces questions tomber sous les auspices de Bruxelles et de la bureaucratie européenne. Paradoxalement, je pense qu'un champion de l'Union européenne n'aurait pas pu « vendre » ce deal aux partis conservateurs. À l'inverse, il me fut assez facile, à moi, de le défendre devant le Parlement. J'étais, en effet, étiqueté comme un « eurosceptique ». Dès lors, on pouvait difficilement me soupçonner d'avoir un parti pris en faveur d'un renforcement de la collaboration de mon pays avec un autre pays de l'UE. J'ai expliqué pourquoi j'étais favorable à une plus grande coopération avec notre principal partenaire européen, notre principal allié en Europe. J'ai insisté sur le fait que cet accord était passé entre un gouvernement souverain et un autre gouvernement souverain, que nous prendrions les décisions ensemble et au même moment, et que l'accord ne serait pas placé sous le patronage de l'Union européenne. Bref, j'ai bien fait comprendre que nous n'abandonnerions aucune parcelle de souveraineté à l'UE.
I. L. - Certains considèrent que cet accord est en train de tuer la défense européenne ; d'autres estiment, au contraire, qu'il pourrait la sauver. Quelle est votre opinion ?
L. F. - Je vois les choses de manière très pragmatique. J'ai été accusé par un autre ministre de la Défense d'essayer de « bilatéraliser » les relations de défense et, donc, d'affaiblir l'Europe. Mais, à l'intérieur de l'Otan, le Royaume-Uni a toujours entretenu une très forte relation avec les États-Unis et personne n'a jamais suggéré que cette proximité risquerait d'affaiblir l'Alliance atlantique ! Pourquoi une relation bilatérale renforcée entre la Grande-Bretagne et la France affaiblirait-elle nécessairement l'Otan ou l'Union européenne ? Pour tout vous dire, le Royaume-Uni s'irrite des critiques émanant de pays qui ne remplissent pas leurs propres obligations en matière de défense, refusent de déployer des forces... mais se permettent de donner des leçons à Paris et à Londres et voudraient leur dicter la manière d'agir dans ce domaine ! Dois-je rappeler que, ensemble, nos deux pays concentrent plus de 50 % des dépenses et 65 % des budgets de recherche dans le domaine de la défense de l'Europe continentale ? Alors, si d'autres pays ont envie de participer à cet effort au même niveau que nous, qu'ils se penchent sur leurs budgets de défense, sur la taille de leurs forces armées et sur leur volonté politique de déployer ces forces armées !
I. L. - Comment expliquez-vous ce désintérêt relatif des autres pays européens pour les …