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CRISE: LE CREDO ALLEMAND

Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, est l'homme clé de la solution à la crise de l'euro en Allemagne, et donc en Europe. Il a reçu Politique Internationale pour dire sa conviction que la monnaie unique survivra à la tempête, si possible sans amputer la liste de ceux qui l'utilisent ni les règles inscrites dans les traités de Maastricht et de Lisbonne. Ce vétéran de la politique, ancien homme de confiance de Helmut Kohl dans les années 1980 déjà, a participé en première ligne à tous les événements historiques de l'histoire allemande récente. En 1990, en tant que ministre de l'Intérieur de Helmut Kohl, il rédigea jusque dans les détails le traité de réunification de l'Allemagne. Une quinzaine d'années plus tard, redevenu ministre de l'Intérieur (dans le premier gouvernement Merkel), il mit au point avec Nicolas Sarkozy les règles de sécurité antiterroriste. Juriste, financier et politicien dans l'âme, Schäuble est l'homme des crises. Il surfe sur la crise de la zone euro. Le 21 août dernier, à la question « L'Europe perdra-t-elle dans cette crise le soutien de la population ? », posée par le quotidien allemand Die Welt, il répondait : « Je ne le crois pas. On peut même concevoir maintenant des avancées qui auraient été plus difficiles auparavant. Le fait est que de grandes réformes sont plus aisées à réaliser après des secousses telles des catastrophes ou des guerres. Heureusement, en 2011, nous sommes loin de cela. Néanmoins les crises apportent une prise de conscience plus vive des réalités, elles font mettre en question ce qui paraissait acquis et accélèrent ainsi les décisions. » Sa recette consiste à effleurer dans le désarroi général les sujets qui fâchent ses compatriotes. Quand l'opinion s'empare de ces sujets corrosifs, ceux-ci cessent d'être tabous. On peut alors faire un pas en avant. Il a ainsi lancé l'idée d'une fédération européenne ; puis celles 1) d'une agence de notation européenne et 2) de la création d'obligations européennes ; enfin, lors d'une réunion du FMI à Washington le 24 septembre dernier, cinq jours avant un vote crucial du Bundestag, celle de l'élargissement des fonds de sauvetage européens (FESF). Ayant survécu miraculeusement à l'attentat d'un psychopathe sur sa personne en 1990 et cloué, depuis, dans un fauteuil roulant, Schäuble a voué sa vie à l'unification de l'Europe autour du noyau dur franco-allemand dont il est, à Berlin, le plus ardent défenseur. J.-P. P.
Jean-Paul Picaper - Monsieur le Ministre, vous avez récemment déclaré, lors d'une conférence réunissant des prix Nobel d'économie tenue à Saint-Gall, en Suisse, que l'économie mondiale allait connaître sept années de vaches maigres. Êtes-vous bien certain que cette période durera sept ans ? C'est un chiffre magique...
Wolfgang Schäuble - J'ai expliqué, ce jour-là, que surmonter les difficultés qui frappent l'économie mondiale prendrait du temps. Nous autres, membres de la zone euro, ne sommes pas les seuls à avoir des problèmes. L'Amérique est, elle aussi, concernée. En termes de croissance, l'économie allemande a mis peu de temps à surmonter la récession qui a suivi la crise financière. Mais la croissance n'est pas tout. Entre autres tâches, il nous faut fondamentalement repenser la régulation des marchés financiers - et cette régulation doit être significativement plus stricte qu'avant 2008. Ce travail ne se fera pas du jour au lendemain. C'est pourquoi j'ai dit qu'on pouvait citer à ce propos l'allégorie biblique liée à ce chiffre. La remise sur les rails de l'économie mondiale peut prendre sept ans, peut-être plus, peut-être moins. Ce n'était pas une prophétie ! Ce que nous souhaitons, voyez-vous, c'est une croissance durable. De plus, nous ne devons pas faire l'erreur de penser qu'un retour à une croissance forte est la seule manière de résoudre les problèmes d'endettement de l'État auxquels de nombreux pays industrialisés sont à présent confrontés. Je suis favorable à une croissance soutenue, sans pour autant la considérer comme une solution facile qui nous permettrait d'éviter les changements structurels nécessaires à la résorption des déficits. Au contraire, c'est la baisse des déficits qui est la clé d'une croissance soutenue.
J.-P. P. - Cette réduction des déficits que vous appelez de vos voeux passe-t-elle par des économies budgétaires et des hausses d'impôts ?
W. S. - Absolument. Il n'y a pas d'autre manière de réduire les déficits que de réduire les dépenses et d'augmenter les recettes. J'insiste : c'est en réduisant les déficits que nous créerons les conditions d'une croissance durable. Car nous affrontons une crise de confiance grandissante. Posez-vous la question : d'où vient le coup de froid qui frappe la conjoncture mondiale ? Il est dû, en grande partie, à la crise de confiance qu'ont déclenchée 1) le débat sur la dette de l'Euroland et 2) le problème de la crise de la dette américaine.
J.-P. P. - La croissance de l'Union européenne est plus faible que la croissance mondiale. Pour quelles raisons et pour combien de temps encore ?
W. S. - Ce n'est pas ainsi que je vois la situation. L'Union européenne fait partie des régions les plus développées de la planète. Si nous voulons avoir une croissance durable au niveau mondial, il faut que les régions les plus faibles croissent plus vite que les régions très industrialisées. La convergence des niveaux de développement de par le monde ne peut que réduire les tensions et contribuer à la stabilité politique de notre planète. C'est pourquoi je considère qu'il est de notre responsabilité de …