Les Grands de ce monde s'expriment dans

LES COULISSES DU RENSEIGNEMENT AMERICAIN

Quand Barack Obama a succédé à George W. Bush à la Maison-Blanche en janvier 2009, deux hommes seulement ont été informés de tous les secrets de la guerre que les États-Unis livraient au terrorisme : le nouveau président et son directeur du renseignement national (DRN). Le DRN d'Obama - le troisième titulaire du poste depuis les réformes entraînées par le 11 Septembre - était l'amiral Dennis Blair. Après avoir passé trente-quatre ans dans la Marine, où il a commandé la flotte de l'océan Pacifique, il avait la charge de superviser la CIA et les autres agences de renseignement américaines. Remercié le 22 mai 2010, l'amiral Blair a désormais l'intention d'utiliser ses connaissances et son expérience dans le secteur privé afin de continuer de contribuer à la sécurité de son pays. Il n'aime pas discuter des raisons de son limogeage ; mais des sources au sein du gouvernement laissent entendre qu'il aurait irrité la Maison-Blanche et la CIA en défendant trop énergiquement l'idée d'un accord américano-français portant sur le partage d'informations et de non-espionnage mutuel. Dans cet entretien - la première interview de fond qu'il ait accordée depuis son licenciement -, M. Blair, âgé aujourd'hui de soixante-quatre ans, nous parle de ses dix-huit mois au service (secret) d'Obama et livre ses réflexions sur les changements qui doivent être apportés à la campagne contre le terrorisme. D. R. Dan Raviv - Sommes-nous bons ou sommes-nous chanceux ? Un aphorisme dit que nos agences de sécurité ont l'obligation de toujours réussir, alors que les terroristes, eux, peuvent se permettre de ne réussir qu'une seule fois. Dix années se sont écoulées depuis le 11 Septembre sans que la moindre attaque ait eu lieu sur le territoire des États-Unis. Alors, avons-nous de la chance ou du talent ?
Dennis Blair - Je dirais que nous sommes bons à 70 % et chanceux à 30 % ! Si l'on songe à tous les attentats que nous avons déjoués - qu'il s'agisse de celui de Faisal Shahzad, qui avait garé une voiture piégée sur Times Square à New York ; de Najibullah Zazi, qui planifiait une attaque visant des trains de la banlieue new-yorkaise ; ou encore du Nigérian Umar Farouk Abdulmutallab, qui a tenté de faire exploser un avion reliant Amsterdam à Detroit -, on peut aisément retourner l'aphorisme que vous avez cité : désormais, il suffit que les terroristes commettent une seule erreur pour que nous fassions échouer leurs projets. Avant le 11 Septembre, ils pouvaient se permettre de commettre plusieurs erreurs et réussir malgré tout. Ils pouvaient prendre dans notre pays des leçons de pilotage au cours desquelles il apparaissait clairement qu'ils ne voulaient pas apprendre à atterrir. Ils pouvaient vivre pendant des mois à San Diego et se rendre régulièrement dans des mosquées extrémistes. Ils pouvaient discuter librement de leurs plans au téléphone. Nous étions complètement inconscients ! À présent, les choses ont changé. Pour mener leur projet à bien, les terroristes n'ont plus le droit à la moindre erreur. On se rend compte, en étudiant leurs tentatives d'attentats récentes, que celles-ci sont montées en à peine quelque jours. Ils n'ont tout simplement plus le temps de les préparer soigneusement. Pour une raison évidente : nous les pourchassons avec la plus grande énergie. C'est pourquoi, aujourd'hui, ceux qui sont chargés d'attaquer les États-Unis ne sont plus des terroristes endurcis et parfaitement entraînés. Il s'agit principalement de jeunes hommes amers disposant d'un passeport américain ou d'un visa leur permettant d'accéder à notre territoire, et qui reçoivent pour seule instruction de tuer autant de gens que possible quand ils en ont l'occasion. Ce progrès n'est pas dû à la chance. Il résulte du travail acharné fourni par les services de renseignement des États-Unis et d'autres pays. Il demeure, néanmoins, un élément que l'on peut relier à la chance : quand les terroristes font une erreur, la vigilance d'un policier en faction sur Times Square ou celle des passagers du vol Amsterdam-Detroit, pour ne prendre que ces deux exemples, permettent de les mettre en échec. Comme je viens de le dire, il suffit qu'ils commettent une seule erreur pour que nous puissions les arrêter. La situation est donc l'inverse de ce qu'elle était encore le 10 septembre 2001.
D. R. - Ces derniers temps, la tendance générale est à l'austérité. Dans un tel contexte, les États-Unis ont-ils toujours les moyens de disposer …