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SAUVER L'EUROPE DE LA FAILLITE

Né en 1948 à Brake, en Westphalie, Hans-Werner Sinn est professeur d'économie politique depuis 1983. Considéré comme l'un des tout premiers économistes de son pays, il a enseigné à Mannheim et à Münster, ainsi que dans diverses universités en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Scandinavie, en Israël, au Canada et aux États-Unis. Professeur d'économie politique au Centre d'études économiques de l'Université Ludwig Maximilian de Munich, il dirige le prestigieux Institut d'économie de cette même ville (Ifo). Son ouvrage Le Capitalisme de casino (1), paru en 2009 et dans lequel il dénonce les excès de l'économie financière, demeure un best-seller à ce jour. Le professeur Sinn s'est prononcé très tôt, alors que le sujet était encore tabou, en faveur d'un défaut de paiement contrôlé de la Grèce - un scénario qui impliquerait la suspension de son appartenance à l'Union monétaire européenne. D'après lui, les dommages que ce pays a infligés à l'Union monétaire justifieraient un arrêt de l'aide budgétaire que les institutions européennes fournissent à Athènes. Ces dommages ne sont pas encore irréversibles ; mais ils le deviendront si Berlin et Paris continuent à déverser des euros dans le tonneau des Danaïdes athénien. D'autant que ce système ferait des envieux ! L'Allemagne et la France seraient alors conduites à financer des partenaires en difficulté... jusqu'à ce qu'elles se retrouvent acculées, à leur tour, à la banqueroute. M. Sinn estime surtout que, dans l'état actuel des choses, la Grèce ne peut pas accomplir les efforts qu'on exige d'elle. Pour redevenir concurrentielle, elle devrait tellement abaisser ses prix et salaires qu'une révolution balayerait son gouvernement. La Grèce pourrait, certes, récupérer des forces en dévaluant ; mais une telle dévaluation lui est interdite tant qu'elle reste dans la zone euro. Elle doit donc rétablir sa monnaie nationale, la drachme, puis dévaluer pour écouler ses produits à l'étranger et attirer les touristes grâce à des prix avantageux. Aussi Hans-Werner Sinn conseille-t-il de mettre la Grèce « en congé de l'euro » pour un certain temps. Elle devrait provisoirement fermer ses banques pour neutraliser un assaut des épargnants désireux de récupérer leurs euros et contrôler les frontières pour empêcher ces mêmes épargnants de transférer leurs avoirs à l'étranger - un phénomène déjà très répandu dans ce pays. Les dirigeants du parti chrétien-social bavarois (CSU), associé au gouvernement Merkel, partagent visiblement le point de vue du professeur Sinn. Prenant le contre-pied d'Angela Merkel et de son ministre des Finances Wolfgang Schäuble, le ministre libéral (FDP) de l'Économie Philipp Rösler a été le premier à déclarer : « Pour stabiliser l'euro, il ne doit pas y avoir d'interdits. » Et d'ajouter : « On peut songer, en cas de nécessité, à une faillite ordonnée de la Grèce si les instruments nécessaires sont à notre disposition. » Dans l'entretien exclusif qu'il nous a accordé, Hans-Werner Sinn analyse les raisons pour lesquelles l'Union monétaire s'est enfoncée dans l'impasse actuelle, et explique ce qu'il faudrait faire pour en sortir et sauver la monnaie unique. J.-P. P. Jean-Paul Picaper - Professeur Sinn, plusieurs dirigeants allemands, en particulier le ministre de l'Économie et vice-chancelier Philipp Rösler, estiment que la Grèce devrait être momentanément mise en quarantaine de l'euro. N'avez-vous pas été le premier à avancer cette thèse ? Hans-Werner Sinn - Rösler n'a pas exigé de la Grèce qu'elle sorte de l'Union monétaire ; il n'a fait que dire la vérité, à savoir que la Grèce est en faillite. Le chef de l'autre parti allié à la CDU au sein de la coalition gouvernementale, la CSU bavaroise, Horst Seehofer, l'a dit lui aussi. Ils sont tous les deux d'accord. Pour ma part, j'estime que, de toutes les options dont la Grèce dispose actuellement, une sortie de l'euro représenterait, pour elle, le moindre mal. Dans l'état actuel des choses, un tel scénario serait vraiment le mieux indiqué. Tout l'argent que pourrait lui verser la communauté européenne ne compenserait pas les désavantages du dépérissement qui la menace si elle demeure dans la zone euro, où les prix sont trop élevés pour elle. À quoi, en effet, lui servirait-il de préserver un certain niveau de vie quand ses jeunes seraient au chômage et n'auraient plus de perspectives d'avenir ? Seule la sortie de l'euro et une dévaluation de 30 %, voire davantage, peuvent réellement sauver la Grèce. J.-P. P. - Sauf erreur, le traité de Lisbonne dispose qu'un pays membre a la possibilité, s'il le souhaite, de quitter l'Union européenne... mais pas l'Union monétaire. Alors, comment procéder à l'éviction de la Grèce ? H.-W. S. - La sortie de la zone euro peut être justifiée de diverses manières. De toute façon, personne en Europe ne respecte plus les traités. Mme Lagarde a plusieurs fois admis en public que lors du sauvetage de la Grèce on avait enfreint sciemment le traité de Maastricht. On peut donc enfreindre à nouveau le traité si la Grèce veut sortir de l'Union monétaire tout en restant dans l'Union européenne. Pour satisfaire les juristes, on pourrait procéder ainsi : la Grèce obtient un statut spécial qui la maintient pro forma dans l'Union monétaire, tout en rétablissant temporairement la drachme. Quand elle remplira à nouveau les conditions d'une appartenance pleine et entière à l'Union monétaire, elle pourra y revenir en tant que véritable membre. J.-P. P. - On entend souvent dire que l'exclusion de la Grèce serait une humiliation pour l'Union monétaire et que la perte de confiance des marchés qui en résulterait aurait des conséquences catastrophiques. Mme Merkel évoque un possible « effet domino »... H.-W. S. - L'effet domino aura lieu de toute façon si les banques ne peuvent plus venir à la rescousse de la Grèce et que les autres États de l'Union monétaire doivent le faire à leur place. On se contaminerait, entre pays de l'UE, en se repassant les fardeaux les uns aux autres. En tant que contribuable, je préférerais que ce soient les banques qui se contaminent entre elles plutôt que les États. Les marchés sont pris de nervosité quand les investisseurs …