À la différence de Homs ou de Hama, la localité de Deraa n'est pas connue pour être une citadelle islamiste ou même une ville religieuse. Conservatrice, oui, mais comme la plupart des agglomérations syriennes. Historiquement, elle eut des sympathies avouées pour ce que l'on appelle le courant nationaliste arabe, dont le baasisme n'est pas éloigné. C'est pourtant dans cette ville agricole, marquée par le tribalisme, a priori peu susceptible de s'embraser facilement, que l'intifada contre le régime de Bachar al-Assad a commencé. Auparavant, dans la foulée des révolutions égyptienne et tunisienne, il y avait eu, à partir du 15 mars, des appels à manifester pour « une Syrie sans tyrannie, sans loi d'urgence ni tribunaux d'exception ». Mais la mèche allumée par un appel lancé sur Facebook, baptisé « la révolution syrienne contre Bachar al-Assad », n'avait pas pris. Ce qui met le feu aux poudres, c'est l'arrestation à Deraa, quelques jours plus tard, d'une quinzaine de gamins âgés de 11 à 14 ans qui avaient tracé des graffitis hostiles au pouvoir sur les murs. Bientôt, leurs parents apprennent qu'ils sont épouvantablement torturés - on leur a arraché les ongles, cassé les dents... - et quand ils viennent supplier les autorités de les relâcher, ils s'entendent répondre par Atef Najib, l'homme de la sécurité du gouvernorat : « Oubliez-les ! Faites plutôt d'autres enfants et si vous ne savez pas comment, faites venir ici vos femmes... » La colère s'empare des familles des adolescents emprisonnés - une colère qui va bientôt se propager à toute la ville sous la forme de manifestations. L'intifada syrienne a donc commencé par un événement qui tient plus du fait divers que du fait politique. Certes, les graffitis s'en prenaient au régime mais leurs jeunes auteurs, à l'image d'une Syrie largement dépolitisée, n'affichaient aucun engagement particulier. Pourtant, ce qui frappe d'emblée, c'est que les protestataires ne vont pas seulement exiger la libération des adolescents et la démission du gouverneur mais, très vite, formuler des revendications plus nationales. Et quand la répression s'abat sur la ville, ils n'hésitent pas à exiger la fin de l'actuel régime alaouite (1). Une preuve, s'il en était besoin, que le sommet du pouvoir est tenu pour responsable de tous les maux de la population, et qu'il n'existe aucun échelon intermédiaire susceptible d'absorber les tensions entre le régime et la rue, ou même simplement de les atténuer. Le 31 janvier, dans une interview au Wall Street Journal, Bachar al-Assad assurait encore, de façon péremptoire, que son pays n'avait rien à craindre de l'agitation qui soufflait depuis plusieurs mois sur le monde arabe. L'inquiétude perçait toutefois puisque, peu auparavant, le président avait créé un « Fonds national pour l'aide sociale », d'un montant de 230 millions d'euros, destiné à venir en aide aux familles les plus défavorisées. Mais ce qui se passe à Deraa ne donne pas immédiatement tort au chef de l'État syrien : la situation n'est pas encore insurrectionnelle. Les troubles demeurent, en effet, limités à cette ville proche de …
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