Les Grands de ce monde s'expriment dans

UN JUGE CONTRE LE TERRORISME

Isabelle Lasserre - Vous instruisez depuis plusieurs années les grands dossiers du terrorisme : quel est, précisément, votre champ de compétence ?
Marc Trévidic - Le champ de compétence du juge antiterroriste a évolué. Pendant longtemps, ce domaine a été très sectorisé. Le terrorisme islamiste et ce que l'on appelle le « grand international » étaient traités par les juges Jean-Louis Bruguière et Jean-François Ricard (1). Deux autres juges s'occupaient l'un de la Corse, l'autre du Pays basque. Depuis que nous sommes passés, au fil du temps, de quatre à huit juges d'instruction, les co-saisines à trois juges - voire à quatre - se sont multipliées. Les juges d'instruction sont donc conduits aujourd'hui à traiter des matières dont ils ne s'occupaient pas auparavant. La spécialisation sectorielle a un peu éclaté. En ce qui me concerne, je ne m'occupe ni des Corses ni des Basques. Le terrorisme islamiste représente 80 % de mon travail. Les 20 % restants concernent de vieux dossiers internationaux : le terrorisme palestinien des années 1980 (2), les opposants iraniens (3), les dossiers libanais liés au Hezbollah (4), le Rwanda (5)... Il s'agit de dossiers un peu particuliers qui sont le fruit de l'Histoire et qui font toujours partie de notre stock.
I. L. - Qui est votre patron ?
M. T. - D'un point de vue administratif, mes supérieurs hiérarchiques sont le président du tribunal et le premier président de la cour d'appel. Mais, en théorie, le juge d'instruction n'a pas de patron. Le « premier désigné » est responsable du dossier. Il peut se voir adjoindre des collègues. Reste que, selon le Code, c'est lui qui décide.
I. L. - La fonction de juge d'instruction a-t-elle un équivalent dans d'autres pays européens ?
M. T. - Seules la France et l'Espagne sont dotées d'un système de pur droit romain, napoléonien. La Belgique s'en rapproche. Quant aux autres pays européens, hormis la Grande-Bretagne qui fonctionne avec une procédure de « common law » (6), ils ont des systèmes hybrides. Ils font appel à des juges d'instruction au cas par cas. Au Portugal, par exemple, dans une « enquête parquet », un juge d'instruction peut être nommé mais seulement si la demande en est faite par l'une des personnes poursuivies.
I. L. - Comment se passe une journée type du juge Trévidic ?
M. T. - Lorsque je suis en France - car j'effectue de nombreux déplacements à l'étranger -, ma vie n'est pas si exaltante que ça. C'est un travail de bureau... Mon boulot consiste surtout à préparer le prochain interrogatoire. Dans mon domaine, les dossiers sont lourds et complexes ; certains exigent une longue préparation. Je passe beaucoup de temps à rédiger, notamment, des demandes d'entraide internationales. Je dois évidemment assister aux réunions de travail avec les enquêteurs. Et m'occuper de toute la paperasserie : demandes d'écoutes téléphoniques, de sonorisation, d'audition sous X...
I. L. - Vous avez la réputation d'être courageux et indépendant, de résister aux pressions politiques. Étiez-vous prédestiné à ce poste ? …