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LE GRAND RETOUR DE LA TURQUIE DANS LES BALKANS

Depuis quelques années, les projecteurs sont braqués sur le rôle nouveau que la Turquie cherche à jouer au Proche-Orient. On aurait pourtant tort de croire que la politique diplomatique d'Ankara se limiterait à cette région. Fidèles à une stratégie « multilatérale », les dirigeants de l'AKP (le parti au pouvoir depuis 2002) ne négligent aucune des anciennes provinces de l'Empire ottoman qui constituent l'environnement proche de la Turquie moderne. Ainsi multiplient-ils les déplacements dans les Balkans, tandis que les entreprises turques investissent massivement dans la région. Sarajevo, Pristina, Belgrade... Aucune capitale, aucun pays n'échappe à ce dynamisme. En juin 2010, lors d'un Sommet sur la coopération en Europe du Sud-Est tenu à Istanbul, le président turc Abdullah Gül déclarait : « Les Balkans, zone d'ouverture vers l'Occident, forment une région importante pour la Turquie, qui en considère tous les États, frontaliers ou non, comme ses voisins. » Les Balkans ont appartenu durant quelque cinq siècles à l'Empire ottoman ; l'ancienne « Turquie d'Europe » est-elle en train de renaître ? Le retour de la Turquie Le 26 avril 2011, un Sommet réunissait le président serbe Boris Tadi? et les trois membres de la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine dans la résidence présidentielle serbe de Kara?or?evo, en Voïvodine - là même où, vingt ans plus tôt, Franjo Tu?man et Slobodan Milo?evi? s'étaient rencontrés pour envisager le dépeçage de la Bosnie. Plus étonnant encore, un autre chef d'État participait à cette rencontre trilatérale : le président turc Abdullah Gül (1). La rencontre, qui intervenait dans un contexte de crise grave pour la Bosnie-Herzégovine, ne déboucha guère que sur des déclarations de bonnes intentions ; mais la présence d'Abdullah Gül fut vivement critiquée par Milorad Dodik, le tout-puissant président de la Republika Srpska, l'« entité serbe » de Bosnie-Herzégovine, qui n'avait pas été invité. Dodik souligna, en particulier, que la Turquie n'avait aucun rôle à jouer dans le respect des accords de paix de Dayton. Ce sommet trilatéral se situait, en effet, en dehors du cadre de « surveillance » des accords. Il intervenait exactement un an après une rencontre du même type à Istanbul, qui avait donné lieu à l'adoption d'une Déclaration affirmant des objectifs de sécurité, de dialogue politique et de préservation de la diversité ethnique, culturelle et religieuse des Balkans. Le processus des accords de Dayton reconnaît un rôle de « garant » de la paix à la Serbie et à la Croatie, tout en demeurant piloté par les deux instances chargées de veiller à leur implication - le Conseil de mise en oeuvre de la paix (PIC) et le Haut représentant international en Bosnie-Herzégovine, nommé par l'Union européenne. Mais la rencontre de Kara?or?evo s'inscrivait dans une tout autre dynamique - une dynamique dans laquelle ni l'UE ni les pays occidentaux co-signataires des accords de paix ne sont impliqués. Elle a fait apparaître au grand jour un nouvel axe réunissant la Serbie et la Turquie, deux pays qui prétendent désormais au rôle de « piliers de la stabilité » des Balkans …