Antithèse idéologique et sociologique d'un régime baasiste dominé par des membres de la communauté alaouite, la mouvance islamique sunnite est généralement perçue comme le principal ennemi du pouvoir en place à Damas. La société syrienne étant profondément religieuse, cette mouvance serait - nous dit-on - très vraisemblablement appelée à jouer un rôle politique majeur en cas de changement de régime. À ce titre, elle serait susceptible de présider à une révision radicale des politiques conduites par l'État syrien depuis un demi-siècle. La réalité n'est pas aussi simple. Premièrement, si le régime baasiste s'est montré irrémédiablement sourd à toute idée de dialogue avec l'opposition islamiste proprement dite (Frères musulmans), il a en revanche fini par établir un partenariat ambigu mais solide avec les oulémas. Ces derniers ne se distinguent pas des islamistes par leur idéologie (tous sont favorables à l'application de la charia) mais par leur vocation : ils sont avant tout des hommes de religion et non des activistes politiques. Nous engloberons donc ces deux catégories d'acteurs sous l'appellation « mouvance islamique ». Le deuxième correctif, partiellement lié au premier, est que la mouvance islamique n'est pas à l'origine du soulèvement actuel. Elle s'en tient même quelque peu en retrait. La cause en est que la contestation se cristallise principalement dans des milieux sociaux, notamment ruraux ou rurbains, qui ne constituent pas son terreau traditionnel. Troisièmement, à travers un bref exercice de prospective, nous ferons l'hypothèse que l'avènement d'un régime islamiste n'introduirait pas systématiquement des ruptures fondamentales dans les politiques intérieures et extérieures de l'État syrien. Non parce que la volonté de rompre avec le passé serait absente, mais parce qu'un nouveau pouvoir ferait inévitablement face aux mêmes contraintes que son prédécesseur. La politique religieuse du Baas syrien : exclusion, conflit et coopération Au lendemain du coup d'État baasiste de 1963, la mouvance islamique apparaît rapidement comme le principal foyer d'opposition au nouveau régime. Dès 1964, ce dernier écrase à Hama une révolte organisée par les Frères musulmans. La posture du courant religieux est aisée à comprendre, le Baas l'ayant attaqué sur tous les fronts. Politiquement, la junte crée un système de parti unique et dissout les formations hostiles, à commencer par les Frères musulmans, dont les cadres prennent massivement le chemin de l'exil. En termes économiques, les nationalisations touchent non seulement le grand capital, mais aussi les petites et moyennes entreprises qui fournissent au clergé l'essentiel de ses ressources financières. Sur le plan institutionnel, le parti au pouvoir exclut délibérément les oulémas de l'appareil d'État. Méfiant à l'égard de ces élites « réactionnaires », il n'intègre à la haute fonction publique qu'une poignée d'hommes liges comme le Grand Mufti Ahmad Kaftaro et gère ce secteur social sur un mode essentiellement policier. Ce choix sera lourd de conséquences : ne se voyant pas offrir de ressources économiques suffisantes par l'État, les oulémas demeureront étroitement dépendants du secteur privé. Ce dernier financera les séminaires islamiques que la puissance publique se refuse à prendre en charge (1). D'un point de vue idéologique, …
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