Bill Browder est un homme d'affaires extraordinaire. Issu d'une famille de communistes américains, il crée, dans les années 1990, le plus grand fonds d'investissement étranger opérant en Russie. À la fin des années 1990, il se met à lutter contre la corruption qui règne au sein de quelques grandes compagnies russes dont son fonds est un actionnaire minoritaire. Son action est d'abord acclamée par le régime Poutine ; mais quand la nouvelle équipe gouvernante s'empare de l'économie russe, il devient gênant. En 2005, Browder est expulsé de Russie. Deux ans plus tard, il est exproprié de ses filiales à la suite d'un complot auquel participent quelques influents fonctionnaires véreux. Et lorsque son juriste, Sergueï Magnitski, porte plainte, ce dernier est arrêté et jeté en prison où il meurt en 2009, dans des circonstances tragiques. Scandalisé, Bill Browder lance une campagne internationale visant à obtenir justice pour Sergueï Magnitski. Aujourd'hui, il consacre la totalité de son temps à ce combat. G. A.
Galia Ackerman - Comment avez-vous eu l'idée de vous lancer dans le business en Russie ? Bill Browder - Je dois avouer que ma décision de faire des affaires en Russie a été plus émotionnelle que rationnelle ! Il se trouve que j'ai grandi dans une étrange famille de communistes. Mon grand-père était le secrétaire général du Parti communiste américain avant la Seconde Guerre mondiale (1). Ma grand-mère, d'origine russe, était une intellectuelle, et tous leurs fils sont devenus mathématiciens. Mon père était un mathématicien de très haut niveau ; c'était aussi un communiste qui a pas mal souffert du maccarthysme. C'est pourquoi, lorsque dans mes jeunes années je suis entré dans une phase de rébellion, j'ai trouvé le moyen de causer la plus grande souffrance qui soit à mes parents : j'ai décidé de mettre un costume et une cravate et de devenir un homme d'affaires ! G. A. - C'est une chose que de devenir un homme d'affaires aux États-Unis ; c'en est une tout autre que de plonger dans le monde chaotique du business russe ! B. B. - Il y a eu un enchaînement de circonstances. Tout en poursuivant mes études à la Stanford Business School, je réfléchissais à la voie que je voulais emprunter. De nombreuses sociétés envoyaient leurs représentants sur notre campus pour nous présenter leur travail et nous recruter. Mais leurs discours n'éveillaient aucun intérêt chez moi. Je ne me sentais pas concerné par les grandes entreprises industrielles ou les grandes banques qui venaient « chasser » leurs futures recrues à Stanford. Un jour, j'ai dit à un ami que je ne savais pas quelle carrière choisir. Il m'a répondu que je devais trouver quelque chose de très personnel - réfléchir à mon histoire familiale, par exemple. J'ai obtenu mon diplôme en 1989. Le mur de Berlin venait de tomber. Et, subitement, j'ai su ce que j'avais à faire : mon grand-père était le communiste numéro un aux États-Unis... Eh bien, moi, je deviendrais le plus grand capitaliste d'Europe de l'Est ! G. A. - Comment avez-vous débuté ? B. B. - En 1989, je me suis installé à Londres et j'ai commencé à travailler pour Boston Consulting Group (une société américaine). J'ai été envoyé en Pologne, en tant que conseiller de la Banque mondiale, dans une petite ville située à la frontière ukrainienne. Un beau matin, j'ai jeté un coup d'oeil au journal que lisait mon interprète. J'ai vu que des pages entières étaient remplies de chiffres. Il m'a expliqué qu'il s'agissait d'une liste de bons de privatisation polonais. Avec l'aide de cet interprète, j'ai compris que le gouvernement de Varsovie vendait des sociétés d'État pour un prix correspondant à la moitié du bénéfice qu'elles avaient réalisé l'année précédente. En théorie, si l'on achetait une société à ce prix-là, on rentrait dans ses frais en six mois ! Il m'a semblé qu'il y avait d'excellentes affaires en perspective... À cette époque, j'avais 4 000 dollars d'économies. Avec cette somme, je suis allé …
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