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SYSTEME POUTINE : LE DEBUT DE LA FIN

Andreï Piontkovski s'est imposé, il y a plus de vingt ans, comme l'un des meilleurs politologues russes. Imperturbablement, il passe au crible les transformations politiques, économiques et sociales à l'oeuvre dans son pays et dans l'espace post-soviétique. Mathématicien de formation, il s'est spécialisé de longue date sur les questions de stabilité stratégique et de désarmement - des sujets sur lesquels il travaille encore aujourd'hui à l'Institut des études systémiques (un centre de recherches rattaché à l'Académie des sciences de Russie). La majeure partie de ses analyses sont consacrées à la « boîte noire » que constitue le régime de Vladimir Poutine. Connu pour la profondeur de ses réflexions et le caractère visionnaire de ses écrits, l'universitaire Andreï Piontkovski est également un citoyen engagé qui défend depuis des décennies les droits de l'homme et les libertés fondamentales. Pas étonnant, dès lors, qu'on le retrouve au sein du Conseil politique de Solidarnost (Solidarité) - un mouvement d'opposition libérale qui a été l'un des principaux organisateurs de la grande manifestation du 10 décembre 2011 contre les fraudes massives ayant entaché le scrutin législatif du 4 décembre précédent. Ce rassemblement était un événement inédit depuis le début des années 1990 : environ 60 000 personnes ont défilé à Moscou, sans parler des manifestations tenues, le même jour, dans les grands centres urbains du pays, de Kaliningrad jusqu'à Vladivostok. De nouvelles manifestations ont eu lieu le 17 et, surtout, le 24 décembre 2011, mobilisant, rien qu'à Moscou, près de 100 000 personnes. Le « printemps russe » est arrivé et les appels à la démission de Vladimir Poutine constituent le coeur des revendications. Andreï Piontkovski est, à 71 ans, l'une des rares autorités morales que compte la Russie. Réfractaire au compromis, il défend fermement des positions courageuses. Ses propos, souvent teintés d'ironie, peuvent être musclés et son style, parfois fleuri. Cet « empêcheur de penser en rond » dénonce haut et fort les tares du régime politico-financier mis en place il y a plus de douze ans, appelle Vladimir Poutine à démissionner sans plus tarder de son poste de premier ministre et l'engage à renoncer à sa candidature à la présidentielle du 4 mars 2012. C. S. Carina Stachetti - Le film des événements s'est brutalement accéléré en Russie au terme du simulacre d'élections qui s'est tenu le 4 décembre 2011. Le 10 et surtout le 24 décembre, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester. Que s'est-il passé? Andreï Piontkovski - Deux événements majeurs ont brutalement accru la défiance et le dégoût qu'éprouvaient de plus en plus, ces dernières années, les élites et le reste de la société à l'égard du régime. Il y eut, d'abord, le marché honteux intervenu entre Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev, le 24 septembre 2011, lors du congrès de Russie unie, ce faux parti politique qui rassemble les notables. Ce jour-là, Poutine s'est, de fait, proclamé dictateur à vie. Cette opération de « swap » qui a consisté à annoncer publiquement une permutation des postes de président et de premier ministre entre Poutine et Medvedev s'est révélée profondément choquante. Elle a marqué les esprits. Sans surprise, les réactions sur Internet ont été immédiates et explosives. Elles ne sont pas restées confinées aux seuls médias d'opposition : elles se sont exprimées aussi sur des sites qui figurent parmi les plus fréquentés. La deuxième explication, c'est l'ampleur des fraudes qui ont entaché le scrutin législatif du 4 décembre 2011. Ces manipulations sont sans précédent, y compris pour la période Poutine. Selon les évaluations de divers observateurs indépendants, les falsifications en faveur du « parti des escrocs et des voleurs », comme on surnomme Russie unie, représentent de 15 à 20 % des suffrages. Et ces irrégularités ont souvent été enregistrées au moyen de téléphones portables. De très nombreux électeurs ont filmé des vidéos au contenu révoltant et choquant, dont la diffusion a été multipliée à l'infini sur la toile, en particulier via les réseaux sociaux et YouTube. Et je ne parle même pas du fait que les manoeuvres du pouvoir avaient commencé avant le jour du scrutin puisque les autorités avaient refusé d'autoriser neuf partis d'opposition à y participer (1). Ces deux erreurs stratégiques (24 septembre et 4 décembre 2011) ont eu pour effet de rendre le régime illégitime aux yeux de la société et l'ont tourné en ridicule. Dans ce contexte, l'élection présidentielle prévue pour le 4 mars 2012 est devenue une étape périlleuse pour le pouvoir... C. S. - Vladimir Poutine est-il vraiment affaibli ? A. P. - La nouvelle configuration politique l'a affecté, c'est indéniable. Souvenez-vous de sa mine dépitée dès le soir du dépouillement des votes, lorsqu'il est apparu devant les caméras de télévision. Il savait que les positions de Russie unie, dont il est le leader sans pourtant en être formellement membre, s'érodaient. Il avait même essayé de mettre en place, en mai 2011, un « Front populaire » qui s'est révélé assez pitoyable (2). Pourtant, il ne pensait pas que le fameux « parti du pouvoir » recueillerait si peu de suffrages le 4 décembre ! En fait, Russie unie a obtenu de l'ordre de 25 à 30 % des voix au …