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RUSSIE : UNE PRESIDENTIELLE SANS SURPRISE...

L'élection présidentielle du 4 mars marque un tournant dans l'évolution de la Russie. En redevenant le président de la Fédération de Russie pour un nouveau mandat de six ans, Vladimir Poutine a gagné une bataille jouée d'avance - celle des urnes -, mais il a perdu celle - plus importante - des coeurs et des esprits. Le chapitre Poutine est clos En l'absence de toute opposition structurée, la victoire personnelle de Vladimir Poutine était largement prévisible. Elle a néanmoins quelque chose de gênant, comme la qualification de l'équipe de France grâce à la main de Thierry Henry. À bout de souffle, le système Poutine est désormais en sursis car le lien ombilical entre la Russie et son président est rompu. De ce chapitre l'Histoire retiendra la tentative visant à réparer l'« humiliation » des années 1990, lorsque, sur les décombres du soviétisme, sont apparues au grand jour des inégalités abyssales au sein d'une société faussement égalitaire, et que la Russie a brusquement perdu son statut de grande puissance. Face à ce traumatisme (connu en médecine sous le nom de « phénomène du membre fantôme », sensation douloureuse à l'endroit d'un membre amputé, comme si ce dernier était encore présent), Poutine a pris la pose du sauveur - tel un chirurgien s'affairant sur un corps malade - afin de redonner à son peuple un simulacre de fierté, via le triptyque digne du tsar Nicolas Ier : État-patriotisme-religion (1). Tout son art a consisté à faire croire aux Russes qu'ils pourraient retrouver leur grandeur sur ces bases-là. Ce fut l'un de ces innombrables mirages dont regorge l'histoire russe. Dans les années 2000, aucune perspective n'a été offerte aux élites nationales en devenir : pas de réformes en profondeur, pas d'élan innovateur, rien de ce qui aurait pu propulser ce pays à fort potentiel dans le XXIe siècle. Au contraire, le système Poutine a transformé la Russie en un gigantesque émirat dopé aux hydrocarbures, sur fond de collusion de l'État avec des services spéciaux sortis tout droit de la guerre froide. Une vision historiquement myope, mais économiquement rentable tant que le baril flirte avec les 120 dollars (contre 27 dollars en 2000, année de l'accession de Poutine au pouvoir). Le pétrole représente les deux tiers des revenus fédéraux ; et les matières premières (dont les prix se sont envolés sous l'effet de la forte demande chinoise) constituent 85 % des exportations russes. La Russie est l'archétype d'une économie de rente : archaïque, totalement inadaptée à la nouvelle donne géostratégique, contre-productive mais permettant - pendant un certain temps - d'acheter avec l'argent du pétrole la paix sociale, à l'instar du Venezuela et de l'Algérie. Le deal « saucisses contre liberté », selon une plaisanterie russe. C'est précisément ce « deal » qui est en passe de voler en éclats. Le plus extraordinaire - et le plus triste -, c'est que l'ancien lieutenant-colonel du KGB, en proie à une véritable psychose obsidionale, a enfermé son pays dans un huis clos quasi suicidaire. En s'opposant systématiquement …