Les Grands de ce monde s'expriment dans

ISRAEL : L'HOMME LE MIEUX INFORME DU MONDE...

Du haut de la tour résidentielle où vit Meïr Dagan, on jouit d'une vue plongeante sur Tel-Aviv qui vibre et s'agite une dizaine d'étages plus bas. Un nid d'aigle qui permet par temps clair de voir loin, des plages de la Méditerranée à la vallée du Jourdain et aux contreforts jordaniens. Huit ans durant, entre 2002 et fin 2010, Meïr Dagan a bénéficié d'un même point d'observation privilégié, à la tête du service de renseignement extérieur israélien : le Mossad. Il fut, en quelque sorte, l'un des hommes les mieux informés du monde. C'est le premier ministre Ariel Sharon, vieille connaissance et compagnon d'armes, qui l'a choisi pour diriger cette institution mythique en charge non seulement du renseignement mais aussi des opérations spéciales et de la lutte anti-terroriste. Une période durant laquelle Dagan a imprimé sa patte sur le service, notamment en mettant l'accent sur les opérations de terrain. On attribue au Mossad l'assassinat de deux responsables du Hamas et d'un dirigeant du Hezbollah au cours de cette décennie. La voiture du premier, Izz al-din al-sheikh Khalil, l'un des chefs de la branche armée du Hamas palestinien, a explosé dans la banlieue de Damas en 2004. C'est aussi dans la capitale syrienne que Imad Mughnyieh, l'un des dirigeants du Hezbollah libanais, a été ciblé en 2007. L'opération contre un autre ponte du Hamas, Mahmoud al-Mabhouh, début 2010 à Dubaï, a été, en revanche, considérée comme un fiasco. L'enquête de police conduite sur place révéla que les agents du Mossad avaient utilisé frauduleusement des passeports de citoyens européens et australiens - ce qui provoqua des remous diplomatiques entre Israël et plusieurs de ces pays. Prolongé à deux reprises par Ehud Olmert puis par Benyamin Netanyahou, le mandat de Meïr Dagan ne sera pas renouvelé quelques mois après l'affaire de Dubaï. C'est au début des années 1970 que Meïr Dagan a fait ses premiers pas dans le renseignement. Jeune capitaine, il fut sélectionné par le commandant de la zone Sud, Ariel Sharon, pour mettre sur pied une unité de commandos, Sayeret Rimon, chargée de la traque des activistes palestiniens à Gaza. Le chemin des deux hommes se croise de nouveau au Liban lorsque, devenu ministre de la Défense, Sharon cherche à expulser l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) du sud du pays. Meïr Dagan sera mis dans la confidence et, à la tête de la Brigade armée Barak, son char sera le premier à entrer dans Beyrouth en 1982. À 67 ans, on prête à l'ex-chef du Mossad des ambitions politiques, qu'il ne pourra pleinement satisfaire que passé une période obligatoire de trois ans après la fin de ses fonctions. Pour autant, Meïr Dagan ne s'est pas privé de prendre position publiquement, et avec virulence, contre d'éventuelles frappes préventives visant les installations nucléaires iraniennes - une hypothèse soutenue par le premier ministre Benyamin Netanyahou et le ministre de la Défense Ehud Barak. Partisan d'une accentuation des pressions internationales, il craint qu'une action israélienne ne provoque une guerre régionale. En attendant, Meïr Dagan s'est reconverti dans les affaires. Il dirige, notamment, une entreprise dans le secteur de l'énergie. Il s'investit aussi dans une association dont le but est d'améliorer le système politique israélien en réduisant le nombre de partis représentés au Parlement. Né en 1945 dans le train qui ramenait ses parents polonais d'un exil sibérien d'où ils avaient échappé à la guerre, sa vie a suivi les détours et les affres de l'Histoire. Sans doute souhaitera-t-il encore y jouer une part active à l'avenir... A. M. Aude Marcovitch - Monsieur Dagan, vous avez été à la tête du service de renseignement extérieur d'Israël, le fameux Mossad, pendant huit ans - des années qui n'ont pas été neutres pour le Moyen-Orient. Comment percevez-vous l'évolution des menaces qui pèsent sur votre pays ? Meïr Dagan - Je préfère parler de « défis » plutôt que de « menaces ». Les menaces, en effet, sont des choses dont nous devons avoir peur, alors que les défis portent en eux l'idée d'une occasion à saisir. Ce que l'on qualifie inexactement de « printemps arabe » contient cette idée de chance à capter. Et cela, quelles que soient les incertitudes dont ces événements sont porteurs. L'expression « printemps arabe » est une référence au printemps des peuples qui a fleuri en Europe en 1848 et qui a conduit à la création de nouveaux États, dans une ambiance où naissaient des idées telles que le libéralisme ou le nationalisme. Je ne crois pas que ce que nous observons aujourd'hui dans le monde arabe soit proche de ce qui s'est produit dans l'Europe du xixe siècle. Personnellement, j'estime qu'il faut diviser les régimes existant dans le monde arabe en deux groupes : d'un côté, les monarchies qui, en général, jouissent d'une situation politique relativement stable ; de l'autre, les pouvoirs issus d'un coup d'État militaire. Généralement, il s'agit d'anciennes monarchies renversées par la force. Ces régimes nés d'un putsch souffrent d'un défaut de légitimité, une large partie de la population n'ayant jamais accepté la venue au pouvoir d'un groupe de militaires. Ce qui explique que, lorsque leur position est ébranlée, la situation évolue vers des violences intérieures, des bains de sang, comme on l'a vu en Libye, au Yémen, en Égypte et actuellement encore en Syrie. Dans les royaumes, à l'inverse, les dirigeants sont issus de longues lignées qui ont formé des alliances avec les familles locales les plus puissantes, avec les différentes tribus, comme par exemple en Jordanie. D'où leur relative stabilité. Le processus du « printemps arabe » ne conduit pas nécessairement à la démocratie dans les pays qui l'ont connu mais, plutôt, à un changement de pouvoir. Or les groupes les mieux organisés, ce sont les islamistes. A. M. - Lorsque vous dirigiez le Mossad, vous avez été l'une des personnes les mieux informées du monde... Aviez-vous perçu, alors, tous ces bouleversements ? Vos services avaient-ils prévu que la révolte de la rue arabe finirait par faire tomber plusieurs régimes ? M. D. - Nous avions observé la prise en main des activités sociales par les organisations islamiques - ce qui, soit dit en passant, n'était un secret pour personne. Nous savions quelles étaient les forces d'opposition aux régimes. Mais s'agissant des événements conduits par la rue, je ne peux pas être aussi affirmatif. Un processus dirigé par la foule est difficile à lire : vers quoi se dirige la foule ? Comment va-t-elle se comporter en fonction des événements ? Ce n'est pas aisé à décrypter. A. M. - …