Didier Reynders, 54 ans, né à Liège, est une sorte de phénomène en Belgique. Malgré des crises politiques à répétition, il a en effet occupé le poste de ministre des Finances pendant douze ans sans discontinuer sous six gouvernements différents... Cet avocat wallon, marié à une magistrate, offre au moins trois autres particularités : d'abord, rien ne le prédisposait à devenir un expert financier. Boulimique de lecture, surtout de romans, il a choisi une filière plus littéraire qu'économique ou scientifique : humanités latin-grec au lycée, puis études de droit à l'Université de Liège. Ensuite, il affiche sans états d'âme ses idées libérales. Le fait d'armes dont il est le plus fier : les élections législatives du 10 juin 2007, lorsque la famille libérale belge - Wallons et Flamands réunis - était devenue la première force politique du royaume, grâce essentiellement au succès de la formation dont il avait la charge à l'époque. Enfin, tout comme l'ex-premier ministre belge Guy Verhofstadt, libéral comme lui, il milite en faveur d'une Europe fédérale. En cela, il se distingue du chrétien-démocrate Herman Von Rompuy, un autre ancien premier ministre, devenu depuis président de l'Union européenne. M. Von Rompuy déclarait récemment sur France 24 : « L'Union européenne ne deviendra jamais les États-Unis d'Europe ! » Tel n'est pas le credo de Didier Reynders. Son incontestable expérience des arcanes bruxellois - des conseils Ecofin aux réunions de l'Eurogroupe -, mais aussi des enceintes ou des institutions internationales comme le G-8 ou le FMI, lui permet d'affirmer que le fédéralisme n'est pas le problème mais la solution qui permettra à l'Europe de sortir de son enlisement actuel... Toujours vice-premier ministre (depuis 2004), cet homme à l'allure juvénile, à l'esprit clair et au verbe facile est aujourd'hui en charge des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et des Affaires européennes dans le gouvernement du socialiste Elio Di Rupo. Si ses administrés le jugent parfois trop « techno » ou trop sûr de lui, personne ne met en doute sa compétence. Déjà bien servi sur le plan politique dans son pays, Didier Reynders ne ferme aucune porte concernant son avenir... Serait-il intéressé, le moment venu, par la succession de José Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne ? « C'est un poste qui ne se refuse pas, mais je ne sollicite rien », confie-t-il prudemment. Sur les changements en France, sur l'Europe, la crise et le monde, il répond sans faux-fuyants aux questions de Politique Internationale.
B. B.
Baudouin Bollaert - Le résultat de l'élection présidentielle en France ne peut pas laisser indifférent un Wallon, un Belge et un Européen comme vous. Qu'en pensez-vous ?
Didier Reynders - En tant que Belge francophone, je salue la décision démocratique d'un pays souverain. Cette campagne a permis aux Français d'exprimer la diversité de leurs opinions en discutant de sujets jugés trop souvent tabous : l'immigration, la sécurité, le vivre ensemble... Le résultat final est très équilibré et a permis de désigner un gagnant : François Hollande. En tant qu'Européen, je relativise les conséquences d'un changement de majorité dans un État membre parmi vingt-sept. Le traité budgétaire ne sera pas renégocié, mais complété - comme je l'espère - par la voie communautaire, afin de favoriser la croissance. Avant l'élection française, la croissance était déjà au coeur de la politique européenne, avec le programme de stabilité et de croissance, avec la stratégie UE2020 (1) ou encore avec l'Euro Pact + (2). La croissance ne se décrétant pas, il faut favoriser l'investissement et les réformes structurelles au sein des États membres, sans augmenter les dépenses de fonctionnement et sans remettre en cause la stabilité.
B. B. - Les dossiers économiques et financiers sont prioritaires partout en Europe : entre la nécessaire rigueur et l'aide à la croissance, où placer le curseur ?
D. R. - Mon analyse est simple : nous devons en revenir à ce qui avait été prévu lors de la création de l'euro, c'est-à-dire la mise en place d'un pacte de stabilité et de croissance. Comme son nom l'indique, le pacte liait déjà les deux faces de la médaille. Mais, on l'oublie parfois, il avait été affaibli au milieu des années 2000 par le quasi-abandon, à la demande de la France et de l'Allemagne, des critères de Maastricht dont les deux principaux sont un déficit public inférieur à 3 % et une dette publique sous la barre des 60 % du PIB... Nous retournons donc aux fondamentaux. La crise bancaire et la crise de la dette souveraine, la situation en Grèce, en Irlande, au Portugal ou en Espagne, tout cela a conduit les pays de la zone euro à se pencher en priorité sur le volet « stabilité ». De ce point de vue, le travail accompli nous a permis de renforcer l'objectif à moyen terme d'équilibre des finances publiques grâce, notamment, à la création du Mécanisme européen de stabilité (MES). Nous allons dans la bonne direction, même s'il faudrait à mon avis en faire plus...
B. B. - Dans quels domaines ?
D. R. - Je pense à l'inscription de la « règle d'or » (3) dans les constitutions nationales ou à la possibilité pour la Commission européenne d'intervenir dans les budgets nationaux en cas d'anomalie... Quand, par exemple, la Commission européenne interdit la fusion boursière de Nyse Euronext et Deutsche Börse, tout le monde doit s'incliner ; en revanche, si la Grèce dérape sur le plan budgétaire, la Commission n'a aucun moyen d'agir... Est-ce normal ? Je pense …
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