Au moment où l'Américain d'origine sud-coréenne Jim Yong Kim prend la tête de la Banque mondiale, Politique Internationale a choisi d'interroger la directrice générale de cette prestigieuse institution. L'Indonésienne Sri Mulyani occupe ces fonctions depuis juin 2010 : elle incarne une certaine continuité au sommet de la Banque. Mais, surtout, cette ex-ministre des Finances de son pays (2005-2010), est unanimement reconnue pour sa compétence et son énergie. Dans cet entretien exclusif, elle livre sa vision de la crise économique mondiale, analyse la montée en puissance des pays émergents et les difficultés de l'Union européenne, et présente en détails les multiples façons dont la Banque aide ses 188 États membres à relever les défis actuels. Un document de première importance. P. I.
Dan Raviv -Madame Mulyani, il semble que la part des pays émergents dans le PIB mondial a fortement augmenté... Sri Mulyani - Cette impression est effectivement vérifiée dans les faits. Les économies de nombreux pays émergents sont en expansion. Les pays du G20, qui incluent notamment les BRIC - Brésil, Russie, Inde et Chine, voire Afrique du Sud -, représentent désormais 55 % de l'économie mondiale (si l'on mesure ces PIB en dollars américains, au taux de change du marché). Au-delà de ce chiffre, on observe une évolution plus importante encore. Car la question de la richesse des nations dépasse la seule dimension du PIB. D'autres indicateurs, moins tangibles, sont à prendre en compte : les compétences de la population ; le niveau technologique ; la qualité des institutions. Autant d'éléments qui contribuent largement à la productivité et à l'efficacité des acteurs économiques. Dans tous ces domaines, les pays en développement connaissent une amélioration très marquée. D. R. - Parlons de ces aspects moins quantifiables. Avez-vous observé des évolutions au niveau mondial dans ce domaine au cours des dix dernières années ? S. M. - Tout à fait. Ces évolutions s'expliquent par au moins trois facteurs. Le premier tient à la main-d'oeuvre : de nombreux pays émergents, à l'exception peut-être de la Chine du fait de sa politique de l'enfant unique, ont vu leur population active s'accroître. Dans le même temps, la population active des pays les plus avancés tend à s'amenuiser. Le deuxième facteur est le capital. Du fait de la mondialisation et de la libéralisation des flux de capitaux, ceux qu'on peut appeler les « détenteurs du capital », qui sont encore principalement les pays occidentaux, tirent parti des pays qui se développent rapidement : ils investissent dans ces économies, ils y achètent des entreprises. Ils ne s'appauvrissent donc pas : ils ne font que « relocaliser » leur capital vers les régions où la productivité est élevée. Le troisième et dernier facteur est évidemment le progrès technologique et l'économie de la connaissance. Il y a dix ans, les outils de communication et de consommation de masse que sont les smartphones ou les tablettes n'existaient pour ainsi dire pas. Aujourd'hui, on les trouve partout. Or la technologie et les progrès de la connaissance ouvrent la porte à des possibilités illimitées. Il reste tant de choses à créer... D. R. - Arrêtons-nous sur ces innovations technologiques et sur leurs conséquences. Les pays en voie de développement ou à revenu moyen jouent-ils sur un pied d'égalité dans ce domaine avec les pays riches, du fait de l'amélioration de l'éducation et de la formation ? Les produits du futur et les innovations viendront-ils, à terme, des pays du Sud ? S. M. - Sur les cinq dernières années, près des deux tiers de la croissance mondiale proviennent des économies émergentes et en développement. Ces pays ont fait preuve d'une forte résilience après la crise de 2008. Certains d'entre eux sont susceptibles de devenir la « prochaine frontière » du point de …
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